Les deux premiers tomes de ses paraissent en Pléiade. Entre mythe et caricature, que reste-t-il de Marguerite Duras aujourd’hui ?
Un pull-over à col roulé, un gilet noir et des lunettes aux épaisses montures en écaille. De Marguerite Duras, il subsiste évidemment une image, celle de sa silhouette tassée, à la fin de sa vie. Un cliché si facile à imiter ou à parodier. Récemment encore, ces seuls accessoires ont suffi à Stéphane Foenkinos (frère de l’autre) pour prendre les traits de l’auteur de Moderato cantabile dans le cadre d’une expo photo. De Duras encore, il reste des motifs – l’Indochine, la mère, l’alcool -, une musique qui lui est indissolublement liée, ces quelques notes au piano d’India Song… Mais de l’écrivain, on retient avant tout une voix aux inflexions uniques, immédiatement identifiable. En un mot : son style.
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Certaines de ses formules sont devenues cultes, tel le fameux « sublime, forcément sublime » utilisé à propos de Christine V., la mère du petit Grégory, repris à toutes les sauces, ou encore les premiers mots d’Hiroshima mon amour – « Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien. » -, abondamment détournés au moment de la catastrophe de Fukushima.
Mais si Marguerite Duras, dont la vie a embrassé tout le XXe siècle, infuse autant la société contemporaine, au risque parfois de la caricature, c’est parce qu’elle est devenue un mythe littéraire, et même une mythologie au sens où l’entendait Roland Barthes. Ecrivain d’avant-garde, elle appartient désormais à la culture de masse. De Christine Angot à Nina Bouraoui en passant par la Finlandaise Sofi Oksanen, nombreux sont les auteurs à revendiquer son influence. Ses personnages – Lol V. Stein, Anne-Marie Stretter, Anne Desbaresdes… – nous sont aussi familiers que ceux de Balzac ou de Proust.
Quinze ans après sa mort, Marguerite Duras demeure l’un des auteurs français les plus traduits dans le monde, l’un des plus étudiés et joués. En témoigne le succès de La Douleur, actuellement au Théâtre de l’Atelier, avec Dominique Blanc. Ce texte dans lequel Duras raconte le retour des camps de son mari Robert Antelme sidère toujours autant par sa magnifique impudeur.
Surtout, il suffit de se plonger dans les deux premiers volumes des OEuvres complètes qui paraissent en Pléiade pour se rappeler à quel point Marguerite Duras a été une artiste totale, s’aventurant aussi bien sur les terres de la littérature, du théâtre, du journalisme que du cinéma. Le cinéma par lequel, étrangement, elle « parvint à ce qui put sembler le coeur même de la littérature », ainsi que l’écrit Gilles Philippe dans la préface du premier tome.
Le passage par l’image et par l’écriture de scénarios lui a permis de s’affranchir du carcan de la phrase pour accéder à cette « écriture courante » tendant vers le silence qu’elle a façonnée de livre en livre, dépouillant, dénudant toujours plus, et qu’elle définit ainsi dans Ecrire : « Une écriture brève, sans grammaire, une écriture de mots seuls. Des mots sans grammaire de soutien. Egarés. Là, écrits. Et quittés aussitôt. » Marguerite Duras fait partie de ces écrivains qui ont libéré la langue, ouvert de nouvelles perspectives à la littérature. Sa modernité reste intacte.
OEuvres complètes (Pléiade) Tome 1, 1 696 pages, 65 ? ; Tome 2, 1920 pages, 70 euros (coffret 135 euros). Sortie le 20 octobre.
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