Toute l’oeuvre de la météorite Sylvia Plath donne à relire une vie lucide jusqu’à la tragédie, sublimée par la poésie et un unique roman.
Pourquoi le suicide de Virginia Woolf ? », se demande Sylvia Plath dans son journal en novembre 1952. Elle a tout juste 20 ans, elle est une étudiante extraordinairement brillante, un fort caractère, une jolie fille. Elle écrit de la poésie depuis l’enfance, multiplie les prix, va bientôt être envoyée par son université à New York où elle interviewera Elizabeth Bowen pour le magazine de mode Mademoiselle. Mais c’est aussi une âme fragile, trop lucide pour ne pas être écorchée, blessée durablement par la mort de son père.
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Quelques mois plus tard, pendant l’été 1953, elle se cache dans la cave de la maison maternelle, avale des somnifères et agonise là, trois jours durant, derrière un tas de bois. On l’y retrouve in extremis, elle est internée, subit des électrochocs, semble guérir, repart de plus belle à la conquête des lettres et à la reconquête d’elle-même, ce qui la conduira bientôt en Angleterre, sur le campus de Cambridge, dans les bras du poète Ted Hughes. Il n’empêche : dix ans après, à Londres, une nuit d’hiver, elle ouvrira le gaz et ne se réveillera pas. Elle laisse deux jeunes enfants et le manuscrit d’un recueil, Ariel, qui fera d’elle une figure majeure de la poésie anglo-saxonne, en même temps qu’une sorte d’astre tragique, fugace, dont les journaux intimes, publiés au début des années 80, renforceront encore l’éclat.
Il y a bien quelque chose de l’ordre du destin, et presque du mythe, dans cette courte trajectoire de Sylvia Plath, lointaine descendante bostonienne d’Emily Dickinson et lectrice fidèle de Virginia Woolf : elle incarne une forme proprement féminine d’absolu littéraire. La superbe édition de ses OEuvres en Quarto le confirme, même si l’auteur virtuose et violente d’Ariel ne saurait être réduite au statut de victime – fût-elle flamboyante – de sa condition : épouse dépressive d’un grand poète infidèle, fille d’un éminent professeur qui l’a laissée orpheline, étudiante boursière dans l’Amérique conservatrice des années 50…
Bien sûr, elle construit son oeuvre en réaction contre ce monde où elle veut gagner sa place. Mais elle le fait avec une force et une causticité coupante qui valent, dès l’adolescence, pour une victoire. Elle s’écrit, au sens propre, et le mérite de ses OEuvres ainsi réunies, outre qu’elles proposent des traductions inédites (dont celle du Colosse, son premier recueil), est de permettre une circulation passionnante entre des textes de genres divers, qui disent tous la même expérience. Il faut relire ainsi La Cloche de verre, le seul roman de Plath, paru sous pseudonyme, en écho aux déflagrations poétiques d’Ariel (l’inouï poème Papa, par exemple) et aux pages d’introspection des journaux intimes : c’est un grand livre nerveux sur l’Amérique ainsi qu’un autoportrait cruel en jeune fille aux électrochocs, qui s’ouvre sur l’exécution des époux Rosenberg et s’achève par une pendaison. Un manifeste de l’innocence impossible, hanté par la question du suicide, à laquelle l’écriture, en définitive, ne saura jamais trouver de réponse.
Fabrice Gabriel
OEuvres (Quarto/Gallimard), 1 288 pages, 29 euros.
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