Krzysztof Warlikowski réunissait en 2007 la mythologie d’Hollywood et l’avant-dernier opéra de Janácek pour une hallucinante soirée lyrique. Reprise attendue de L’Affaire Makropoulos à l’Opéra Bastille.
Après le choc de sa création il y a six ans et une première reprise en 2009, L’Affaire Makropoulos de Leoš Janácek dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski fait figure d’événement incontournable. C’est sous la direction musicale de la Finlandaise Susanna Mälkki, succédant au chef Tomáš Hanus, que l’œuvre est reprise aujourd’hui avec une distribution toute neuve (où seul le baryton-basse Vincent Le Texier et le ténor Ryland Davies ont été reconduits).
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Flash-back en images d’un alléchant rappel des faits. Telle cette ouverture de légende où, à travers la fine trame du grand voile de satin bleu, nous apparaît dans un halo doré celle par qui le scandale ne va pas manquer d’arriver, cette diva nommée Emilia Marty (rôle créé par Angela Denoke et repris aujourd’hui par Ricarda Merbeth), que l’on entraperçoit alors, sous les traits iconiques de la Marilyn platinée de Billy Wilder quand un vent fripon soulève sa robe et lui découvre impudiquement les jambes dans Sept ans de réflexion (1955). Dès cet instant, Krzysztof Warlikowski pose le postulat d’une relecture cinématographique qu’il ne va cesser de développer tout au long de sa magistrale mise en perspective de l’œuvre.
Tragique histoire de succession
Avec l’adaptation de cette pièce écrite en 1922 par Karel Capek (qui utilisa pour la première fois le mot “robot”), Leoš Janácek nous entraîne dans une tragique histoire de succession qui fait la une des gazettes en opposant les héritiers de deux familles dont les démêlés judiciaires durent depuis près d’un siècle. Et le mystère de l’affaire s’épaissit encore avec l’arrivée d’Emilia Marty, qui en sait plus que tous les vivants présents sur l’origine de la querelle.
La magie du conte de Capek veut que la dame ayant goûté à l’âge de 16 ans d’une potion d’éternité, elle aurait 337 ans. Et qu’ayant été la maîtresse du fortuné dont, l’héritage reste en suspens, elle seule peut désigner la cache du testament manquant, et recelant aussi le parchemin contenant la formule du breuvage lui garantissant la jeunesse éternelle.
Gloria Swansonn, Marilyn Monroe…
La belle idée de Warlikowski est de faire son miel de ce fantasme d’immortalité en le rapportant à celui que le cinéma offre aux stars d’Hollywood. Superposant les images de sa cinéphilie intime à la représentation de l’opéra de Janácek, la scène devient une luxueuse salle de projection où s’entremêlent sur grand écran les inoubliables plans de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard (1950), Wilder encore, et ceux d’archives de la descente aux enfers de Marilyn Monroe.
Puis, Emilia Marty ayant changé sans cesse de nom et de personnalité au cours de sa très longue carrière, c’est à travers elle à toute l’histoire du cinéma que Warlikowski se réfère. Le premier King Kong de 1933 lui permet la métaphore de ces belles des salles obscures n’étant plus que des jouets entre les doigts géants de cet animal que l’on nomme le destin.
Et l’effigie projetée du singe géant ne lui suffisant pas, Warlikowski nous assène le coup de grâce en invitant la bête sur son plateau pour un moment de pure jubilation où la diva de Janácek est portée sur scène au creux de la main du gorille gigantesque.
Dans une dernière image, celle-ci meurt alors que brûle sa formule magique, comme le mirage de ces égéries sur pellicule qui, au delà des tourments de la vie, sont si fragiles, qu’une simple flamme peut les détruire à jamais.
Patrick Sourd
L’Affaire Makropoulos de Leoš Janácek, direction musicale Susanna Mälkki, mise en scène Krzysztof Warlikowski, les 16, 19, 24, 27, 30 septembre et 2 octobre, à l’Opéra Bastille, tél. 08 92 89 90 90
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