Images, motifs, couleurs… Pour la XIIIe édition du Prix Ricard, Eric Troncy présente sa (bonne) pêche d’artistes de demain.
Voilà quelques semaines, un texte étrange – traduction en ligne par le logiciel Reverso d’une page Wikipédia consacrée au seabass, ou bar de ligne – circulait sur le net. Comme une bouteille à la mer lancée par le commissaire de l’exposition du Prix Fondation d’entreprise Ricard, Eric Troncy. Une fausse piste en réalité, qui conduisit les plus malins à lire entre les lignes du filet et à déceler des parallèles imaginaires entre les huit artistes sélectionnés et ce poisson de haute mer qui ne s’aventure que rarement dans les “eaux douces et saumâtres” et dont la pêche ne tolère aucune publicité. Rien à signaler de ce côté-là donc, hormis une vague tonalité aquatique qui plonge l’ensemble de l’expo dans des chromis pastel et délavées.
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En fait, comme souvent chez Eric Troncy, tout se joue à la surface, sans que ce terme soit péjoratif, tant la façade est délicate et maîtrisée. Des images, donc, et exclusivement des images pour cette exposition qui se lit au mur, salle après salle, et où seuls quelques détails à peine visibles viennent meubler l’espace : des plinthes qui achèvent élégamment les cimaises, des rideaux qui calfeutrent et des luminaires conçus par les frères Bouroullec, designers clés de la scène française, choisis, là aussi, pour leur capacité à “faire image” avec leurs objets. Leurs cloisons amovibles et alvéolées, leurs Clouds bleu électrique ou blanc cassé, ouvrent et ferment l’exposition et servent de toile de fond à la galerie de dessins, peintures et photographies signés Corentin Grossmann, Loïc Raguénès, Adrien Missika, Antoine Espinasseau & Gaétan Brunet ou Erwan Frotin, plus connu dans le domaine de la mode que dans le champ des arts plastiques. Il présente ici un ensemble de vanités un brin vaniteuses, ainsi qu’un herbier trop léché de fleurs sauvages prélevées dans la région de Hyères et métamorphosées par le passage du flash et l’encadrement de fonds de couleur artificiels.
Mais l’exposition ne se joue pas là. Plutôt dans son équilibre très ténu, qui joue les correspondances des nuanciers de couleurs et des motifs : photographies de palmiers essoufflés et comme passés à la mine de plomb d’Adrien Missika, et orchidée sauvage liftée dans un bain bleu piscine chez les frères Bouroullec. Mais aussi dans l’oeuvre, largement déployée, des deux artistes qui ponctuent les quatre salles et transforment toute l’exposition en livre d’images que l’on aimerait posséder comme on collectionnait enfant les vignettes et les bons points.
Joyeusement anachroniques, les dessins du jeune Corentin Grossmann figurent des scènes grotesques où surgissent de tendres femmes de Neandertal, coquillages, coloquintes et membres disjoints tout droit sortis d’un inconscient facétieux qui emprunte à Dali comme à Dürer. Et les peintures et dessins en pointillés étrangement puissants de Loïc Raguénès où se trame pourtant une imagerie désuète et dérisoire : une pieuvre violette, un baiser vert, un portrait de François Hollande rose poussière, les mains jointes et les yeux au ciel…
Claire Moulène
The Seabass jusqu’au 29 octobre à la Fondation d’entreprise Ricard, 12, rue Boissy-d’Anglas, Paris VIIIe
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