Des dizaines de photos de policiers centralisées sur un site, accompagnées pour certaines de leur identité et de commentaires sur leur activité. Si le ministère de l’Intérieur n’a pas encore réagi, il a été alerté par les syndicats de fonctionnaires qui protestent.
Lancé la semaine dernière, le site Copwatch Nord-Ile-de-France se présente comme un grand fichier répertoriant des photos de policiers par dizaines. Quand les auteurs (anonymes) du site en disposent, ils ajoutent l’identité du fonctionnaire photographié et des commentaires sur ses pratiques. Ainsi, la mention “N’hésite pas à faire tabasser des personnes du marché des biffins, les placer en Gav” figure à côté du portrait d’un brigadier-chef. Owni y a consacré un article ce weekend.
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Flics de terrain, hiérarchie policière et syndicale, tableau des armements et textes politiques, on peut au moins reconnaître à Copwatch Nord-Ile-de-France le mérite d’être complet… En dehors des photographies prises par les militants dans la rue, pendant des manifs ou des interventions de police, une partie de la base de données provient de Facebook.
« Alerte sécurité »
A plusieurs reprises, la hiérarchie policière avait mis en garde ses troupes contre les informations que les policiers laissent eux-même sur les réseaux sociaux. Copwatch-Nord-IDF déclenche la colère des syndicats de police. Lundi soir, un reportage de M6 s’en fait l’écho (à 12’30). Un représentant d’Unité-SGP Police (syndicat majoritaire) déclare que ce site permet “à quelqu’un qui veut prendre une revanche de pouvoir le faire », tandis que le journaliste renchérit : « la chasse aux policiers est ouverte ».
Sur sa page Facebook, Alliance Police nationale diffuse une “alerte sécurité” pour ses membres, avec quelques recommandations basiques de confidentialité. Le message se termine par “Faites tourner au maximum cet article, un nouveau site anti-flic vient d’ouvrir”.
Nouveau ? En décembre 2010, première “alerte sécurité” quand le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux annonçait qu’il déposait plainte contre Indymedia Paris (plate-forme collaborative ouverte à tous et surtout utilisé par l’extrême-gauche). Sa colère concernait un article, désormais dépublié, dans lequel des anonymes proclamaient : “Nous filmerons et identifierons les flics parisiens un par un”, en postant une dizaine de photos de policiers en civil, avec et sans brassards. Ils souhaitaient désigner au grand public quels policiers encadrent les manifs “afin que l’insécurité gagne leur camp”.
Nous avions alors recueilli le témoignage d’un militant autonome lillois, familier du “copwatching”. Il défendait une démarche politique de surveillance des agissements de la police :
“La caméra a un effet dissuasif énorme. Immédiatement, les policiers baissent leur flashball. Il faut tout filmer et photographier, comme ça si un copain se fait arrêter, on a les images. Deux fois, des copains accusés de violences ou d’outrage ont été relaxés grâce aux photos. […] A Lille, les civils ne viennent plus se mêler aux cortèges, ils restent sur les trottoirs. C’est une lutte comme une autre, comme l’antifascisme, le soutien aux sans-papiers ou l’anticapitalisme.”
Et difficile à coincer sur le plan juridique, comme le souligne Owni :
“En cas de contentieux, les responsables du site pourraient se prévaloir de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression. D’après la CNIL, leurs services de contrôle ne pourraient intervenir qu’à la suite d’une décision de justice. […] Malgré une URL achetée en France, le site est basé chez l’hébergeur militant Rise Up, aux États-Unis. Essayer de le faire fermer relèverait donc de la gageure pour la justice française.”
Plusieurs problèmes se posent : l’identification des contributeurs du site, la qualification à choisir pour les poursuivre (outrage, diffamation, préjudice lié à la divulgation de la vie privée?) et le flou juridique sur certaines photos Facebook, publiques ou privées. En tout cas, interpellé par les syndicats, le ministre de l’Intérieur ne devrait pas tarder à se faire entendre.
Camille Polloni
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