La fresque trépidante des studios Disney, devenus dans les années 80 les premiers au box-office américain, grâce à l’audace et la folie de son pdg, Michael Eisner.
Pendant vingt ans, de 1984 à 2004, Hollywood a vécu la reconfiguration complète de ses valeurs artistiques et commerciales. Au travers de la double aventure de Disney et de Michael Eisner qui sera bientôt le pdg le plus puissant d’Hollywood, Le Royaume enchanté de James B. Stewart raconte cette histoire-là. Une histoire qui ressemble dans ses meilleurs moments à L’Idéaliste de Coppola, avec ses personnages folkloriques histrioniques, ses décors en carton-pâte qui dissimulent de réels enjeux de pouvoirs, le contraste entre l’univers enfantin et l’âpreté des coulisses, et la dinguerie humaine qui vient perturber la rationalité des stratégies.
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Quand Eisner arrive aux manettes de Disney en 1984, l’entreprise est alors une structure artisanale, familiale et paternaliste, surveillée par le neveu de Walt Disney, et quelque peu dormante. En quatre ans, elle deviendra le premier studio au box-office grâce à son nouveau patron qui développera l’exploitation tous azimuts du fonds patrimonial Disney auquel il ajoutera la production, inédite, de films en prise de vue réelle (Chérie, j’ai rétréci les gosses ; Qui veut la peau de Roger Rabbit ?).
A cet agrandissement s’ajoutera quelques années plus tard l’exploitation touristique (hôtellerie, parcs d’attractions), l’investissement dans des chaînes de télévision (ABC), la création d’un consortium (Buena Vista Entertainment), bref l’établissement d’un vaste empire.
Plus généralement, l’histoire de l’entreprise témoigne des mutations de l’industrie du spectacle (abandon des « films modestes à histoire simple » pour les blockbusters devant faire un carton immédiat, explosion des coûts de fabrication et de marketing, cadence infernale des projets) et de l’obligation pour Disney de rattraper les nouveaux talents pour ne pas être distancé (Pixar, Weinstein).
A cet égard, l’aspect « brain storming » de l’entreprise est passionnant quand Stewart entre dans le détail de la conception des lignes de production (cf. la succession de « mémos », ces bibles de l’entreprise rédigées par les dirigeants) et des projets (cf. Pirates des Caraïbes auquel personne ne croyait et l’arrivée lors des réunions de travail de Johnny Depp grimé de manière outrancière, ce qui effraya les dirigeants…) où il s’agit d’être visionnaire et d’anticiper les demandes d’une époque.
D’autant plus qu’aux considérations stratégiques et aux intuitions avisées se mêle souvent l’irrationalité des rapports humains qui met son grain de sel dans ce qui aurait pu n’être qu’une histoire neutre de l’industrie hollywoodienne – voir les rapports faits de jalousie obsessionnelle et de coups tordus qu’Eisner, mégalomane et souvent mesquin, entretint avec ses collaborateurs (Katzenberg et Ovitz) qu’il laissa quitter l’entreprise pour fonder des structures concurrentes, privilégiant alors ses sentiments personnels sur le sens tactique).
L’auteur, qui ne prend pas le risque d’une évaluation critique de la production Disney de ces années-là et qui pratique quelquefois une empathie un peu béate avec la réussite, a le mérite d’avoir eu accès à un nombre invraisemblable de documents privés (mails, courriers…) qui lui permettent de livrer les détails les plus méticuleux d’une fresque haute en couleur.
Axelle Ropert
Le Royaume enchanté de James B. Stewart (Editions Sonatine), 778 pages, 23,50 euros.
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