Les marcheurs indignés sont à Paris depuis le 17 septembre. Ils ont souvent trouvé les forces de l’ordre sur leur chemin. Un retour sur quatre jours plutôt animés.
Une cinquantaine de marcheurs a quitté fin juillet la capitale des indignés, Madrid, avec pour objectif de rallier Bruxelles en octobre. Des membres européens du mouvement se sont depuis agrégés au cortège, qui avoisinait les 80 personnes à son arrivée à Paris ce samedi 17 septembre.
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Samedi soir, l’entrée en matière
Dès le premier soir, un rassemblement est organisé à Bastille, au pied des marches de l’opéra. « On essaie d’être le plus transparent possible donc on l’avait déclaré à la préfecture, mais vers minuit, la police est quand même venue nous déloger« , raconte Fredéric, un indigné parisien.
Les services de la préfecture sont intervenus quand ils ont compris que les marcheurs et leurs soutiens prévoyaient de camper à Bastille. Les indignés l’avaient bien mis noir sur blanc dans la déclaration, mais du côté de la préfecture, on insiste : « la déclaration ne vaut pas autorisation, il n’est pas possible de camper dans Paris. »
Les forces de l’ordre ont donc procédé à la « dispersion » du rassemblement sous une pluie battante, malgré les résistances pacifiques des indignés.
Les marcheurs se sont ensuite dirigés en RER vers Champigny-sur-Marne, seule municipalité à leur avoir ouvert les portes d’un gymnase pour la nuit.
Toutes les démarches entreprises au début du mois de septembre auprès de la mairie de Paris ont échoué, se désole Sophie, elle-aussi indignée parisienne. Mais là encore, la police (nationale et la BAC, selon un témoin présent sur place) se trouve sur le chemin des marcheurs harassés et trempés.
« Ils nous ont empêché d’accéder au gymnase alors qu’on avait les clés », rapporte Jean-Baptiste, un autre indigné. Avant d’ajouter :
« Ils étaient particulièrement provoquants et agressifs, portant ostensiblement matraque et flashballs, et se moquant de certains d’entre nous, sous-entendant qu’on avait pu voler les clés. »
La situation ne sera finalement débloquée qu’après l’intervention d’une ancienne élue de la ville, les forces de l’ordre justifiant leur action par d’énigmatiques « instructions venues d’en haut« . A la préfecture de police, aucune trace de cet incident.
Lundi soir, le dérapage
Lundi, en fin d’après-midi, quatre-vingt personnes sont sur les marches de Bercy. Bien que non déclaré, « le rassemblement ne produisait aucune gène, donc n’avait donc aucune raison d’être embêté », explique la préfecture.
Aux alentours de 19h, le groupe se met en branle, avec un important dispositif policier au train. Après plusieurs tergiversations, les marcheurs s’engagent sur le boulevard St-Germain.
« Le but était de chercher un parc qui puisse accueillir un campement pour se reposer et dormir, » précise Fredéric.
« L’une de nos revendications est la réappropriation par les citoyens de l’espace public, ajoute-t-il, et jusque là l’ambiance était bon enfant. » Plus pour longtemps.
Les services de police décident de stopper la centaine de marcheurs au niveau du 140 boulevard St-Germain, plutôt par la manière forte, à grand renfort de bombes lacrymogène. Si la préfecture n’a relevé qu’un seul tir de gaz lacrymogène et aucun incident, les témoins présents décrivent en revanche des forces de police « sur les dents« , et « énervés d’avoir été baladés » depuis Bercy.
Bilan des opérations : près de 120 interpellations pour « vérifications d’identité », dispatchées entre divers commissariats parisiens (5e, 6e, 11e, 18e). Trois personnes ont par ailleurs dû passer par la case hopital : une jeune fille évanouie et un jeune marcheur espagnol à la suite d’une crise d’asthme, conséquences des gaz lacrymogènes, ainsi qu’un indigné dont l’épaule était déboitée.
Me Breham, l’un des deux avocats du mouvement, s’insurge contre une manoeuvre « illicite » :
« Quand vous avez vos papiers en règles, les agents de police ne peuvent pas vous forcer à venir les vérifier au poste. »
Aux environs de 23h, l’immense majorité des personnes embarquées est relachée, cinq d’entre elles avec une convocation pour « dégradations de véhicules publics » (les bus de la police).
Mardi soir, l’accalmie
Les marcheurs souhaitaient passer la nuit de mardi à Bercy. Les membres de l’assemblée générale organisée dans la soirée vont être témoins d’une scène étrange : un policier en civil, qui dit appartenir à la DCRI, tente d’intervenir dans les débats afin de faire valoir le point de vue de la préfecture.
L’homme explique que les marcheurs ont l’autorisation d’établir leur campement dans le parc de Bercy, derrière le Palais Omnisports, ce que refusent ces derniers, de peur d’ « être délogés dans la nuit« .
Un accord sera finalement trouvé et le campement toléré devant Bercy, à la vue de tous. Interrogée à ce sujet, la préfecture explique sobrement que la négociation a été conduite par « les services compétents », et l’autorisation « tout à fait informelle et exceptionnelle. »
Ce changement de ton de la préfecture peut surprendre en l’espace de 24h. Dans les rangs des indignés, le bruit circule que l’ambassade espagnole serait intervenue auprès de la préfecture afin que la question des marcheurs indignés, espagnols pour la plupart, soit abordée avec plus de délicatesse.
Si la préfecture reconnaît des « contacts » avec l’ambassade ibère, ses services sont formels : aucune instruction ou mise en garde n’a été transmise par cette dernière. Contactés par Les Inrocks, les services de la chancellerie espagnole confirment « suivre l’affaire de près« , mais le ministère des Affaires Etrangères ibère ne confirme pas être intervenu auprès de Paris.
La reprise de la marche vers Bruxelles différée
Les marcheurs devaient continuer leur périple dès ce jeudi matin. Mais l’assemblée générale initialement prévue mercredi soir devant la cathédrale de Notre-Dame, s’est tenue au dernier moment sur la Place de la Bourse.
« Le but était de contourner le dispositif policier qui nous attendait à Notre-Dame, et puis la Bourse c’est aussi un des lieux symboliques des dérives financières », justifie Sophie.
A quelques mètres de l’immeuble de l’AFP, dont des journalistes étaient présents, les services de police entreprennent de déloger les indignés qui s’ « enchaînent » et font des « tortues« . De l’aveu d’une indignée présente lors de l’intervention policière du Boulevard St-Germain quelques jours plus tôt, l’atmosphère est « sans commune mesure« .
Un des indignés parisiens interpellés affirme qu’il y a eu malgré tout des « violences« , et plusieurs autres évoquent un cameraman du mouvement qui s’est fait plaquer violemment au sol, et qui a mis plusieurs minutes à s’en remettre, avant d’être embarqué à son tour.
Près de cinquante personnes seront une nouvelle fois embarquées vers plusieurs commissariats du Nord parisien et onze étaient encore en garde-à-vue ce jeudi en fin de journée pour « dégradation de véhicule public« , une vitre du bus qui les transportait ayant été cassée.
Problème : les onze personnes en garde-à-vues ne seraient pas celles qui étaient dans le camion dégradé, selon Me Bréham, qui y voit « la marque de l’impréparation, et de la volonté manifeste de forcer le droit qui ont accompagné cette dernière opération« .
Le départ des marcheurs vers la Belgique a donc été décalé et le prochain rassemblement est prévu pour ce samedi.
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