Responsable de quelques-unes des plus grandes bizarreries gores japonaises de ces dernières années, le spécialiste des effets spéciaux et réalisateur Yoshihiro Nishimura présentait ses dernières créations à l’Etrange Festival. Pour les Inrocks, le cinéaste évoque sa carrière et son nouveau projet : le premier film de l’artiste contemporain Takashi Murakami.
On le découvrait en 2001, dans une scène clé du premier Suicide Club, où des dizaines d’écolières se laissaient tomber dans la joie sous les rails d’un métro. Le film introduisait un nouveau cinéaste (Sono Sion), et un nouveau créateur d’effets spéciaux (Yoshihiro Nishimura) qui allaient bientôt réveiller le paysage moribond de la J-Horror, déserté par ses anciens maîtres (Nakata, Kurosawa) et réduit à quelques franchises déclinantes (Ring, Ju-on). « On était de vrais autodidactes », se souvient Yoshihiro Nishimura, « avant Suicide Club, on arrivait de nulle part, sans formation, sans argent, on vivait très difficilement ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Depuis ce premier essai, les trajectoires des deux cinéastes se sont séparées : vers Cannes, Venise et la consécration critique pour Sono Sion (récompensé d’un Prix Marcello Mastroianni à la Mostra avec Himizu) ; vers l’underground et les salles de quartier pour Yoshihiro Nishimura, dont les premiers films en tant que réalisateur (Tokyo Gore Police, Mutant Girl Squad), objets de culte en Europe, sont restés très confidentiels au Japon. Il présentait ce week-end son dernier méfait à l’Etrange Festival, Helldriver : l’histoire d’un virus extra-terrestre, d’une armée de zombies, et d’une hit girl en combinaison de cuir.
Des productions kamikazes
Avant de recevoir les honneurs des festivals de cinéma de genre internationaux, Yoshihiro Nishimura est longtemps resté le créateur anonyme de quelques-uns des effets spéciaux les plus mémorables des films de Sono Sion ou Noboru Iguchi (A Larva to Love) : des prothèses monstrueuses, des créatures surréalistes et des jaillissements abstraits de sang qui allaient devenir la signature de toute une nouvelle génération du bis japonais. « J’ai toujours aimé concevoir les effets spéciaux dans mon petit atelier -c’est toujours le même-, avec les moyens du bord », explique Yoshihiro Nishimura, qui a fondé sa factory, Nishi Eizo, au début des 2000’s.
« Bien sûr, je voulais avant tout réaliser des films, mais comme j’étais attiré par le cinéma de genre, je devais d’abord passer par l’étape de fabrication, ajoute-t-il. Ça a toujours été une passion : petit déjà je créais des mannequins remplis de faux sang, que j’articulais par des mécanismes rudimentaires. »
Dans la même dynamique Do It Yourself, Yoshihiro Nishimura enchaîne les tournages en quelques années aux postes de créateur des effets spéciaux, second assistant ou maquilleur. Il se retrouve vite lié à la bande du label Sushi Typhoon (sous lequel officie toute la nouvelle génération japonaise), célèbre pour ses méthodes de tournage kamikazes. « L’industrie du cinéma japonais était trop lente pour nous, explique-t-il. Dans le système actuel, il faut monter ce que l’on appelle un comité de production, avec des financiers…Nous on veut faire des films plus rapidement, avec moins d’argent. Alors on tourne en deux semaines. »
Et le résultat est souvent à l’image du tournage : anarchique, fauché, mais terriblement inventif. Les créations monstrueuses de Yoshihiro Nishimura éclipsent souvent les films (Meatball Machine d’Yūdai Yamaguchi) et révèlent l’un des imaginaires les plus barrés du cinéma contemporain, au croisement du manga, du jeu vidéo et de l’art pictural.
« Je crée ces effets spéciaux à partir d’une image forte, un souvenir, qui peut être lié au cinéma (européen en majorité : les Lucio Fulci, Dario Argento) ou à d’autres formes culturelles, dont je me sens héritier. Comme les mangas de Gō Nagai, les contes traditionnels, les dessins d’Atsuko Fukushima. Et quand je n’ai plus d’inspiration, je reviens à Dali. »
Persona Non Grata
Yoshihiro Nishimura passe enfin à la réalisation en 2008 avec son premier long-métrage, Tokyo Gore Police : le film de la consécration pour la nouvelle génération de cinéastes japonais, le premier à connaître une distribution mondiale. Il persévère avec Vampire Girl vs. Frankenstein Girl, et le film collectif Mutant Girls Squad : deux séries très Z diffusées dans les plus grands festivals de genre (Yubari, Fant-Asia…). Mais ses films, censurés très lourdement, sont quasiment invisibles au Japon, projetés dans des petites salles de quartier pour « un public de vieux fous ».
« Il y a toujours une forme de crispation au Japon autour des films d’horreur, explique Yoshihiro Nishimura. C’est une question culturelle, mais grâce au succès de mes films dans le monde, la censure commence à se calmer un peu : Helldriver est sorti interdit aux moins de 15 ans seulement. » Le cinéaste pourrait bien se réconcilier avec son pays grâce à son nouveau projet : le premier long métrage de l’artiste contemporain Takashi Murakami. « Un film pour enfants », explique Yoshihiro Nishimura, qui tient le poste de créateur des effets spéciaux, monteur et producteur aux côtés de l’artiste.
« Nous avons déjà achevé le tournage, explique-t-il. Ce sera un film très coloré, dans l’esprit visuel des œuvres de Murakami. Mais il y aura une postproduction probablement très longue, il y a au beaucoup d’effets spéciaux : l’imagination de Murakami est assez débordante. »
Romain Blondeau
{"type":"Banniere-Basse"}