Dans son ouvrage Jours de collège, coécrit avec la journaliste Louise Cunéo et paru à la rentrée, la jeune prof Sophie Delcourt revient sur sa première année d’expérience professionnelle en ZEP. Et confie son désarroi face à l’impuissance des enseignants en France et à une Éducation nationale de plus en plus inadaptée aux besoins des élèves en difficultés.
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Dans son ouvrage Jours de collège, coécrit avec la journaliste Louise Cunéo et paru à la rentrée, la jeune prof Sophie Delcourt revient sur sa première année d’expérience professionnelle en ZEP. Et confie son désarroi face à l’impuissance des enseignants en France et à une Éducation nationale de plus en plus inadaptée aux besoins des élèves en difficultés.
“Les ZEP cassent des enseignants très rapidement et les élèves ont besoin de profs extrêmement solides pour être mieux cadrés.” Voici comment Sophie Delcourt, 28 ans et professeure débutante d’histoire-géographie dans un collège de région parisienne et plus précisément dans une Zone d’éducation prioritaire (ZEP), résume l’absurdité de sa situation. Ces fameuses ZEP, créées en 1981 sous François Mitterrand et rebaptisées en 2014 REP et REP+, sont dotées de moyens supplémentaires pour soutenir des élèves en difficulté scolaire et sociale. Pourtant, y enseigner relève parfois du parcours du combattant, comme le relate Sophie Delcourt dans son livre Jours de Collège, coécrit avec la journaliste Louise Cunéo et paru à la rentrée.
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Les méthodes de nomination de ces jeunes profs apparaissent comme l’une des principales contradictions de l’Éducation nationale.
Dans ces établissements très souvent localisés en banlieue, les professeurs sont fraîchement diplômés, n’ont jamais été confrontés au terrain et n’ont surtout jamais suivi de formation pédagogique pour se préparer au rôle qu’ils s’apprêtent à endosser. Quand on sait que le système éducatif en France est de plus en plus inégalitaire (accroissement des écarts du niveau entre élèves, aggravation des déterminismes sociaux, etc.), les méthodes de nomination de ces jeunes profs apparaissent comme l’une des principales contradictions de l’Éducation nationale.
Souvent par obligation, rarement par conviction
C’est le fameux barème qui détermine l’affectation des enseignants à travers le pays. Un système qui repose notamment sur la situation conjugale et l’ancienneté, et qui défavorise d’emblée les nouveaux venus: le/la jeune étudiant(e) qui a réussi son concours, qui est célibataire et sans enfants, risquera fortement de faire partie des 46,5% de profs affectés à l’académie de Créteil ou de Versailles, qui disposent en 2014 de 17 établissement classés REP+. “Rapidement, j’ai compris qu’avec zéro point, j’allais arriver dans un endroit difficile, j’étais un peu déçue mais je savais que j’aimais enseigner. C’est surtout dans le regard des autres que j’ai vu l’effroi”, raconte Sophie Delcourt, qui s’est précisément retrouvée dans cette situation.
Sophie Delcourt découvre par SMS, deux mois avant la rentrée, son affectation au sein du collège où elle exerce maintenant depuis 2013.
Dans son collège de banlieue parisienne, sur une équipe d’environ 70 personnes, seuls 3 ou 4 profs sont là par choix. Quelques-uns le font par conviction, d’autres parce qu’ils apprécient la forte solidarité qui règne entre collègues. Sophie Delcourt découvre par SMS, deux mois avant la rentrée, son affectation au sein du collège où elle exerce maintenant depuis 2013. D’autres, comme beaucoup d’enseignants du premier degré, n’ont pas cette chance et doivent parfois trouver un logement, déménager et s’adapter à leur nouvel environnement une semaine avant la rentrée des classes. Autant de raisons qui expliquent que des enseignants choisissent de se pacser uniquement pour obtenir un meilleur barème et éviter les postes dits pénibles, où les titulaires ne restent que quatre ans en moyenne.
Un combat sans entraînement
“Apprendre à se servir de sa voix, à se faire obéir des élèves, à comprendre la psychologie de l’adolescence, à gérer les relations avec les parents: personne ne forme les enseignants à ça”, explique Rémi Boyer, fondateur de l’association Aide aux profs et coauteur avec le psychiatre José Mario Horenstein de Souffrir d’enseigner: faut-il rester ou partir?. Lorsque Sophie Delcourt nous confie son expérience, souffrir semble en effet être le terme adéquat. “J’étais très enthousiaste à l’idée d’enseigner, et le fait d’être affectée dans un collège ZEP ne m’a pas découragée, se souvient-elle. C’est l’atterrissage qui a été difficile: des semaines sans pouvoir articuler une phrase, me battre pour transmettre ma discipline et puis abandonner parce qu’il n’y a même pas la possibilité de s’exprimer. C’est la désillusion dès le premier cours.”
“Il a fallu qu’on m’explique que je partais avec un déficit et un manque de crédibilité dus à ma condition de femme.”
Beaucoup d’enseignants commencent leur carrière dans des ZEP à l’âge de 24 ans. Bien que, selon la jeune prof, l’âge ne soit pas un problème pour la proximité avec ses élèves, le manque d’expérience est quant à lui un handicap majeur. Le deuxième mur auquel Sophie Delcourt se heurte est le fait d’être une femme. Remarques misogynes, désobéissance, être sous l’autorité d’une femme semble pour certains élèves insupportable: “J’ai mis du temps à comprendre, il a d’ailleurs fallu qu’on m’explique que je partais avec un déficit et un manque de crédibilité dus à ma condition de femme.” Elle raconte que certaines de ses collègues ont dû trouver des stratagèmes pour se faire respecter, jouant parfois sur le rapport affectif ou maternant. Le rôle de l’enseignant devient alors ambigu puisqu’il revêt une fonction qui va bien au-delà de sa première responsabilité: instruire.
Éducateur, flic ou prof?
Or, c’est la mission première du collège. Mais pour y parvenir, nombreux sont les professeurs qui sont obligés d’élargir leur périmètre. Car la France est l’un des pays de l’OCDE où les enfants scolarisés en banlieue ont le moins de chance de réussir à l’école. D’après la sociologue Leyla Arslan -spécialiste de l’ascension sociale dans les banlieues- ceux qui réussissent ont eu un adulte référent, souvent un enseignant qui a été bien plus qu’un professeur classique. Dans son guide, Rémi Boyer va dans le même sens: “Devenir enseignant, c’est se préparer à être polyvalent dans ses savoir-faire et savoir-être […]:à la fois animateur, assistant social, chef de projet, coach, concepteur, éducateur, formateur, gendarme, infirmier, médiateur, psychologue, secrétaire, surveillant.” Conséquence? De nombreux professeurs ont le sentiment de ne plus comprendre le sens de leur métier.
Comme Sophie Delcourt, ils en viennent à se demander “à quoi ils servent vraiment”. Leur quotidien? Hurler pour se faire écouter, s’épuiser à ramasser des papiers, ruser pour intéresser ou encore se sentir démuni face à des élèves dont les lacunes sont trop grandes. Mieux vaut donc avoir de solides épaules et s’accrocher aux petites victoires pour tenir. Lorsqu’imposer des règles devient impossible, les bons élèves qui portent de l’intérêt au cours s’effacent et subissent l’absence de motivation de ceux qui n’en ont aucune, de ceux qui “voient l’école comme une prison et le prof comme un maton. C’est ça le drame, au final, j’ai souvent l’impression que l’on n’aide personne”.
“Mon année a été très éprouvante, mentalement comme physiquement, c’est comme si j’avais été victime d’un vieillissement accéléré.”
La peur du burn out
Du manque de reconnaissance à l’absence de valorisation du poste, en passant par les relations conflictuelles avec les élèves ou l’administration: tous ces facteurs sont sources d’angoisse. Une étude réalisée sur trois ans par des chercheurs toulousains et dirigé par le professeur Séraphin Alava met d’ailleurs l’accent sur le malaise des enseignants, tous secteurs confondus, et montre que les cas de fatigue professionnelle, morale et physique sont dominants chez les profs de collège et de primaire. Les résultats de l’enquête indiquent également qu’un enseignant sur neuf ne s’accomplit que très peu personnellement.
Rien d’étonnant donc à ce que Sophie Delcourt confie sa peur de tomber dans la dépression ou le burn out. “Mon année a été très éprouvante, mentalement comme physiquement, c’est comme si j’avais été victime d’un vieillissement accéléré.” Jours de collège ressemble à un exutoire, celui d’une jeune femme plongée dans un monde dont elle ignorait toute la violence.
Envisager les années futures est une épreuve, même si la jeune femme reste optimiste pour l’année qui arrive. Rémi Boyer estime quant à lui que les changements de ministres sont trop récurrents pour que le corps de l’Éducation nationale puisse évoluer correctement. “Le système éducatif est comme un enfant blessé. Une première personne lui met un pansement carré, l’autre l’arrache pour lui mettre un pansement rond et le dernier l’arrache à nouveau pour en mettre un rectangulaire, résume-t-il avec sévérité. De son côté, Sophie Delcourt n’envisage pas la reconversion: elle poursuit son parcours universitaire et espère un jour atterrir dans un environnement moins hostile.
Mélodie Raymond
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