Le réalisateur Richard Linklater revient avec un projet aussi fou que beau: raconter l’histoire d’une famille américaine en ayant filmé les acteurs pendant douze ans. Dix choses à savoir sur ce long métrage qui fera date.
On savait que Richard Linklater aimait explorer la question du temps sur pellicule. Avant de se lancer dans Boyhood, il avait déjà entamé sa trilogie des Before, réalisée entre 1995 et 2013 et qui suivait un couple sur 20 ans, et tourné Tape, un huis clos tourné en temps réel. Mais avec son nouveau projet, en salles aujourd’hui, le réalisateur propose quelque chose d’inédit au cinéma: voir vraiment vieillir ses acteurs à l’écran. En les suivant sur 12 ans tout en racontant l’histoire d’une famille américaine recomposée, Richard Linklater innove bien plus qu’en déployant des trésors de maquillage ou d’effets spéciaux.
En s’attardant sur les petits riens qui font le quotidien, le réalisateur réussit à capturer ces moments à la fois anodins, précieux et insaisissables que tout le monde a traversés et qui font une vie.
Si le scénario de Boyhood n’a rien d’extravagant -Ethan Hawke et Patricia Arquette y campent des parents divorcés qui élèvent comme ils peuvent leurs deux enfants, interprétés par Ellar Coltrane et Lorelei Linklater-, le fait de tourner sur une aussi longue période apporte nécessairement un éclairage puissant sur les traces imperceptibles du temps, sur les choix de vie, sur le passage à l’âge adulte. En s’attardant sur les petits riens qui font le quotidien, le réalisateur réussit à capturer ces moments à la fois anodins, précieux et insaisissables que tout le monde a traversés et qui font une vie. Avec beaucoup de tendresse et un soupçon de mélancolie, il nous fait entrer dans cette famille fictive, qu’on a du mal à lâcher après 2h43 de projection. Pour prolonger la séance ou au contraire pour se mettre en jambes, voici dix choses à savoir sur ce projet dingue.
1- Ellar Coltrane avait 6 ans au début du tournage
Si Boyhood raconte l’histoire d’une famille, c’est à travers le regard de Mason, interprété par Ellar Coltrane, qu’on la découvre. Richard Linklater évoque une certaine évidence dans le choix de l’acteur, âgé de 6 ans quand le tournage a débuté en 2002. “J’avais le sentiment qu’il deviendrait un artiste, et même qu’il en était déjà un.” Le comédien, lui, raconte qu’il a grandi en même temps que son personnage: “Quand on est petit, tout paraît plus simple. Ce n’est qu’en grandissant qu’on comprend la perplexité des relations familiales. Grâce au film, j’ai compris beaucoup de choses, surtout sur la relation avec ma mère, qui comme celle de Mason, est assez complexe.”
2- L’équipe s’est réunie chaque année pendant quelques jours
Longtemps intitulé The Twelve Years Project, le film a nécessité quelques jours de tournage par an. “On avait presque l’impression de partir en colonie chaque année, dit Richard Linklater. On formait une véritable famille, c’était un vrai plaisir de tous nous retrouver. La petite équipe du départ s’est agrandie, et à la fin, il y avait 143 acteurs et plus de 400 personnes du côté technique. Chaque année, c’était un peu plus difficile de rassembler tout le monde, mais on y est arrivés.”
“Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que j’ai ressenti. Ce moment et cette sensation ne se répèteront jamais.”
Les deux acteurs principaux, Patricia Arquette et Ethan Hawke, ont chacun aménagé leurs emplois du temps pour se libérer à chaque fois, ce qui a été, selon le comédien, “un immense numéro de jonglage pendant 12 ans”. Le réalisateur, lui, a été marqué par le dernier jour du tournage, qui s’est achevé dans le désert: “Il n’y a pas de mots pour exprimer ce que j’ai ressenti. Ce moment et cette sensation ne se répèteront jamais.”
© BOYHOOD INC.IFC PRODUCTIONS I, L.L.C.
3- Patricia Arquette a tout de suite été emballée par le projet
Signer un contrat sur douze ans, c’est du jamais-vu à Hollywood. Mais l’actrice revendique un certain anti-conformisme, qu’elle a immédiatement reconnu dans le Twelve Years Project. “Il n’y avait pas de scénario, c’était un film difficile à cataloguer, il fallait s’engager sur 12 ans, mais l’idée était tellement extraordinaire et nouvelle que j’ai répondu oui […] Je n’avais jamais joué de cette façon. Je ne savais rien de mon personnage, j’ai tout découvert au fur et à mesure.” En incarnant Olivia et son rôle de mère célibataire, elle n’a pas non plus eu peur de se voir grossir et vieillir à l’écran, chose rare pour une comédienne. “Nous sommes une espèce biologique, et je voulais vraiment voir ce matériau naturel avancer dans son cycle de vie, a-t-elle confié au Huffington Post. Mais à Hollywood, tout vous rappelle, surtout en tant qu’actrice, qu’il ne faut pas faire ça.”
4- Ethan Hawke a composé plusieurs chansons de la BO
Le comédien fétiche de Richard Linklater, notamment protagoniste de la trilogie des Before, a confié à plusieurs reprises que son personnage de Mason Sr avait beaucoup en commun avec sa propre vie. Lui-même enfant de divorcé, il a divorcé pendant le tournage, ce qui lui a permis de porter un regard nouveau sur son personnage. Et pour apporter une authenticité supplémentaire au film, dans lequel il incarne un musicien un brin loser, il a composé plusieurs des chansons de la BO. Bande originale sur laquelle on retrouve surtout des chansons emblématiques de certaines années, qui nous aident à nous repérer dans le temps. Ainsi, si le film s’ouvre sur Coldplay et Britney Spears, il se termine sur Arcade Fire.
5- Daft Punk a failli être au générique
Get Lucky figurait également sur la BO, à la fin de la version présentée à Sundance, mais n’est plus dans la version définitive: le groupe n’a finalement pas donné son accord pour l’exploitation du morceau.
“Un jour, Lorelei ne voulait pas s’habiller comme je le souhaitais et elle m’a demandé si je pouvais faire mourir son personnage.”
6- Richard Linklater a filmé sa propre fille, Lorelei
C’est elle qui joue le rôle de Samantha, la grande sœur de Mason, qui passe progressivement de la pré-ado à la jeune femme, avec toutes les transformations corporelles, vestimentaires et capillaires que cela implique. Le cinéaste a confié que le défi n’avait pas toujours été simple pour Lorelei Linklater, qui avait demandé à jouer Samantha, mais dont la personnalité a, comme celle d’Ellar Coltrane, changé en même temps que son rôle. “Un jour, elle ne voulait pas s’habiller comme je le souhaitais et elle m’a demandé si je pouvais faire mourir son personnage”, se souvient-il. Une proposition qu’il a refusée, n’ayant jamais souhaité donner une tournure dramatique à l’histoire.
7- Le scénario a évolué en même temps que les acteurs
Quand Richard Linklater contacte les comédiens en 2002, il n’a que l’ébauche du scénario, qu’il a décidé de faire évoluer avec le temps, en fonction de l’histoire personnelle des uns et des autres. Il sait que le pari est risqué et que beaucoup de choses peuvent arriver en douze ans. “J’éprouvais certaines craintes. Par exemple: et si Ellar décidait de partir vivre en Australie? Vers la fin, j’ai même dit à Ethan Hawke que si je mourais, il faudrait qu’il continue ce film.” Mais rien de tel ne s’est produit, et d’année en année, le tournage s’est poursuivi, en secret, faisant écho à la vie personnelle des comédiens et du réalisateur. Si les jeunes ont traversé l’adolescence pour de vrai, leurs parents fictifs ont connu d’autres difficultés, comme des divorces ou le départ de leurs enfants, qui les ont aidés à comprendre et interpréter les émotions de leurs personnages.
8- Houston est la ville natale du réalisateur
Ce n’est pas un hasard si le film se déroule à Houston, et plus généralement au Texas: c’est l’État dans lequel Linklater a grandi. Les paysages de la région ainsi que des lieux comme le musée des sciences naturelles ou le Minute Maid Park de Houston servent de décor à l’action, qui s’achève avec l’entrée à la fac de Mason à Austin. Ce choix géographique permet d’évoquer la situation politique, par exemple la campagne de 2008 pour Obama dans un Texas pro-Bush, mais aussi certaines valeurs typiquement américaines, comme le poids de l’Église ou la religion des armes. Le Texas symbolise parfaitement cet “american way of life” constitué de fasts-foods, de bowlings et de matchs de base-ball, dans lequel le spectateur est plongé pendant tout le film.
© BOYHOOD INC.IFC PRODUCTIONS I, L.L.C.
9- Personne n’a vu le film avant qu’il ne soit monté
Seuls le réalisateur et sa monteuse Sandra Adair ont vu la progression du montage au fil des 144 mois de tournage. Les autres l’ont découvert une fois terminé, douze ans après le début de l’aventure.
“Je voyais un côté de moi-même que normalement je n’aurais pas vu.”
Ellar Coltrane l’a regardé plusieurs fois avant sa sortie et reconnaît que “ça a été très intense, parce que je voyais un côté de moi-même que normalement je n’aurais pas vu”. Patricia Arquette, elle, a préféré attendre sa projection au festival de Sundance, ayant vécu la fin du tournage avec tristesse: il sonnait la fin d’une longue époque.
10- Le film est déjà un succès au box-office américain
Signe que l’audace et la patience payent, Boyhood fait déjà partie des succès de 2014, après seulement deux semaines d’exploitation aux États-Unis. Forcément, avec une sortie dans seulement cinq salles à New York et Los Angeles le 11 juillet, et des recettes de 359 000 $ pour cette seule semaine, les bénéfices s’élèvent à 71 800 $ par écran, ce qui est un début encourageant pour Richard Linklater, qui produit, et pour IFC Films qui le soutient depuis 2002. De nombreuses salles prévoient désormais de diffuser le long-métrage à travers les États-Unis, tandis que la sortie européenne, précédée d’excellentes critiques, devrait asseoir le statut du film, déjà lauréat de l’ours d’argent au dernier festival de Berlin, et déjà qualifié, sans exagération, de chef-d’œuvre.
Myriam Levain