Acceptée à L’Atelier scénario de la Fémis, Déborah Hassoun a un an pour écrire son scénario de long-métrage. Atteindra-t-elle son objectif? Chaque mois, elle nous raconte sa progression.
De mes griffonnages sur petits carnets jusqu’à un synopsis à peine plus fouillé, mes camarades de la Fémis ainsi que ma (formidable) directrice d’atelier ont été de bons lecteurs. Bienveillants et attentifs, ils m’ont poussée dans mes retranchements, m’ont forcée à vomir de l’intime et ont accepté les énervements provoqués par mes certitudes -qui n’ont rien de très certain à part leur définition.
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1er septembre, date fatidique. Objectif: première version dialoguée. On pourrait croire que c’est le début de la fin, mais ce n’est que la fin du début…
Un “fil à fil” en guise de programme pour l’été. Ce document qui me fait bourlinguer contient toutes les scènes de mon film en version concises.
Il n’est pas question d’un voyage sur l’équateur, mais bien d’une ligne imaginaire.
Je me jette à l’eau. Elle est fraîche. Un air de vacances avec vue sur l’ordi et Facebook pour seul compagnon de route. Le genre de camarade qu’on a envie d’étrangler après une nuit dans la même chambre.
Pour ceux qui ont suivi, mon histoire parle toujours d’un plat qui se prépare sur deux jours et de trois générations de femmes qui ont les mains dans les tripes et les conflits.
Grâce à la touche supprimer, j’ai déjà jeté le plat à la poubelle plus d’une fois. Toutes ces ratures sur la recette me font douter et j’ai peur, à force, d’avoir brûlé le palais de mes camarades d’atelier.
Les objectifs (ce que les personnages veulent obtenir) et les enjeux (ce qu’ils risquent s’ils n’atteignent pas leur objectif) ont été retournés dans tous les sens. Grâce à la touche supprimer, j’ai déjà jeté le plat à la poubelle plus d’une fois. Toutes ces ratures sur la recette me font douter et j’ai peur, à force, d’avoir brûlé le palais de mes camarades d’atelier. J’ai alors fait appel à de nouveaux goûteurs.
Outil indispensable du scénariste: une tribu de lecteurs à qui on rend la pareille dès qu’ils en ont besoin.
Après avoir été reçue au concours du Conservatoire européen d’écriture audiovisuelle (CEEA), j’ai récupéré la fiche de lecture de mon examinateur, qui avait eu entre les mains mon premier scénario de long-métrage écrit sans une once de peur, la jeunesse me cachant le mur dans lequel je fonçais: un film fantastique inspiré d’un conte yiddish, avec un budget d’environ 20 millions d’euros, qui se déroule dans la France de l’entre deux-guerres. En résumé, un film invendable pour une apprentie scénariste de 22 ans, qui avait en plus l’audace de ne pas vouloir réaliser.
Les retours positifs étaient nombreux mais, si jamais j’avais eu l’envie de m’en vanter, la phrase de conclusion aurait très vite calmé mes ardeurs. Je cite: “Entendons-nous bien, j’ai DÉTESTÉ ce film mais je ne doute pas des compétences de l’auteur.”
Je ne vais pas vous mentir, on se connaît trop bien maintenant pour ça (d’ailleurs, vous aurez compris que le mot détester n’était en majuscules que dans mon esprit). J’ai ressassé cette phrase plus d’une journée. Mais, très vite, j’ai réalisé que ce lecteur m’avait donné la plus utile des leçons de scénario: il n’était pas question d’aimer ou pas, il était question de juger un travail artistique avec des outils techniques. Des outils objectifs.
Pour oser faire ce métier, je soupçonne mes parents de m’avoir baignée dans une marmite de confiance en soi quand j’étais petite.
Mon ego s’est relevé, c’était loin d’être le dernier coup qu’il allait prendre. Je précise que je travaille pour la télévision, où mes textes sont lus par 17 personnes, pour la plupart bardées de diplômes qui n’ont rien à voir avec la dramaturgie, ni d’ailleurs avec la cuisson du pain, et pourtant ils pousseraient bien le boulanger du four car ils ont une idée pour que ça cuise plus vite et espèrent ainsi avoir davantage de clients.
Et puis, pour oser faire ce métier, je soupçonne mes parents de m’avoir baignée dans une marmite de confiance en soi quand j’étais petite. Quand on me demande comment on devient scénariste, je réponds toujours qu’il faut être persuadé d’avoir quelque chose à raconter… Une marmite de la taille d’un melon.
Aujourd’hui, je suis toujours la règle de trois. Au premier lecteur qui met le doigt sur un nœud du fil, je me retiens de lui crier très près de l’oreille qu’il n’a rien compris à mon histoire. Au deuxième qui enfonce le clou, j’argumente que le nœud peut être plus petit et qu’il faudra vraiment regarder à la loupe pour encore le voir. Au troisième, je coupe le fil.
Quand ma tribu fait appel à moi, je tente d’appliquer la seule méthode à laquelle je crois. J’insiste sur ce que je préfère dans le récit et demande à l’auteur de m’en mettre plus. Encore plus. Toujours plus. Écrire c’est réécrire alors, autant le faire avec le sourire…
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