Cinq ans après son premier album éponyme au succès gargantuesque, La Roux revient avec Trouble in Paradise. À quel point la chanteuse Elly Jackson a-t-elle changé? Réponse en interview.
Pour citer une autre rousse célèbre, on aurait pu intituler cet article “Sans contrefaçon”. Même si Elly Jackson -comme Mylène Farmer-, n’affirme désormais plus être “un garçon”. L’aspect non contrefait, ici, désignerait plutôt l’authenticité que dégage l’Anglaise de 25 ans le jour où nous la retrouvons dans un hôtel du 6ème arrondissement de Paris. Dans la salle d’interview, le mobilier est incidemment de la même couleur que son chemisier -vert pomme-, et le petit garçon excentrique qu’on avait laissé quelques années plus tôt s’est transformé en une grande jeune femme élégante qui s’amuse de cette coïncidence. Mais, si les apparences changent, le fond reste le même: une grande gueule, beaucoup d’autodérision et des convictions intactes, Jackson n’a pas changé. Une constance qui se ressent aussi dans le nouvel album Trouble In Paradise, à paraître le 21 juillet, dont les compositions, à défaut de sonner aussi “ovniesques” que leurs ancêtres de 2009, prouvent qu’elle en a encore sous le pied quand il s’agit de concevoir des pop songs émotionnelles et entêtantes -même si son ancien double, le producteur Ben Langmaid, a quitté le navire pendant l’enregistrement de l’album. Pour ces grandes retrouvailles discographiques aux allures de nouveau départ, on a soumis Elly Jackson à une interview “Cinq ans après”.
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Cinq ans après, ce disque a-t-il été plus difficile à écrire que le précédent?
Oui, il l’a été. À cause de la pression que je me suis mise. Ça a rendu le processus d’écriture moins agréable qu’au moment du premier album. C’est en partie la raison pour laquelle j’ai mis longtemps à l’écrire. Quand quelque chose ne venait pas aussi naturellement qu’elle aurait dû, je prenais mes distances. Pousser la créativité au mauvais endroit, là où la pression règne, ça s’entend. Et ça donne de la merde. Je suis naturellement très dure envers moi-même. Mais il y avait aussi une part de pression du label, notamment pour mettre au jour le premier single, et une pression liée au temps.
Cinq ans après, as-tu réécouté ton premier album?
Je dois répéter les morceaux du premier album pour la tournée, alors oui. Quand on les joue en répétition, ça va à peu près, parce que c’est live, du coup ça sonne plus gros, plus rond, plus chaud, plus proche de ce que je fais aujourd’hui. Mais le disque à proprement parler sonne riquiqui, incisif et agressif: je ne pourrais plus écouter de musique comme ça maintenant, même si j’aime toujours les chansons et que je ne suis pas lassée de les interpréter. Quand une chose est réalisée, je crois qu’il n’y a aucun intérêt à s’apesantir dessus. Il faut aller de l’avant.
Cinq ans après, es-tu toujours aussi critique envers la pop contemporaine?
Bien entendu. Je me fais juste plus discrète sur le sujet. Mais pour être tout à fait honnête, je ne sais pas trop ce qu’il s’y passe. Je n’y prête pas vraiment attention. Je ne pourrais pas te dire qui est numéro 1 au Royaume-Uni car, en tant qu’auditrice, ce n’est pas mon monde. En tant qu’artiste, j’adore en faire partie, mon but est évidemment d’être dans les charts et pas d’être un truc underground pour hipsters. J’aime la pop, je n’aime simplement pas le genre de pop avec lequel j’ai grandi. Mon truc, c’est la pop à l’ancienne. Je n’écoute rien qui soit sorti après 1992.
“C’est un peu comme si j’avais une sœur jumelle maléfique.”
Cinq ans après, la colère est-elle toujours un moteur?
Oui. Même si je suis sans doute beaucoup moins énervée que par le passé. J’étais énormément sur la défensive avant, c’est à cause de ça que j’ai dit certaines choses pas très intelligentes. Certains propos, sur d’autres artistes ou sur la musique en général, m’ont fait apparaître un peu bornée, pas très ouverte d’esprit. Je crois que ce n’est pas le meilleur moyen d’exprimer son opinion. Si on pense que la pop devrait être meilleure, il faut se mettre au boulot, faire bouger les choses soi-même et arrêter de se plaindre à propos de la musique des autres. Cette attitude de complainte n’avait rien de positif. En interview ces derniers temps, des journalistes m’on ressorti certaines de mes citations de l’époque. À chaque fois, ma réaction est la même: “Je vous en prie, dites-moi que cette phrase n’est pas de moi!” C’est un peu comme si j’avais une sœur jumelle maléfique. (Rires.)
Cinq ans après, as-tu un nouveau coiffeur?
Absolument! C’est un bon ami à moi, Kevin Fortune, on se marre beaucoup tous les deux.
Et la houpette, c’est du passé?
Oui. D’ailleurs, je m’en suis débarrassée il y a un moment déjà, bien avant de me lancer dans ce nouvel album. Même à la cérémonie des Grammys, je ne l’avais plus. J’ai grandi. Ça m’allait bien au début, mais imagine à quel point je serais ridicule si je portais toujours cette coiffure dans dix ans!
Cinq après, regrettes-tu d’avoir adopté certains looks?
Oui, mais seulement ceux qu’on m’a imposés. Je n’aime pas les séances photo pour les magazines, car on te fait porter des vêtements dont tu ne veux pas. Les publications doivent mettre en avant certaines marques, pour avoir des retombées publicitaires. Il est de notoriété publique que j’ai déjà claqué la porte d’une séance photo parce que je ne me ressemblais pas. Quand tu refuses de faire certaines choses, les gens pensent immédiatement que tu es une chieuse ou une diva: jamais que tu te sens tout simplement mal. Pourtant, imagine que tu te réveilles le matin et qu’on t’oblige à porter un vêtement dans lequel tu ne te sentes pas toi-même pour aller au travail. Tu refuserais tout autant que moi! Sans parler du fait qu’on te prendrait en photo dans cette tenue, et qu’on placarderait cette image de toi dans le monde entier!
Cinq ans après, où est le fameux camée que tu portais constamment?
Aucune idée! Sans doute dans un tiroir quelque part. Pour moi, tout ça, c’est une autre vie. C’est comme si on te demandait où sont les baskets que tu portais quand tu avais 12 ans.
Et ton Grammy?
Quelque part chez moi aussi. Je ne sais pas trop. Ça fait vraiment branleuse de l’exposer.
“J’ai l’impression que toutes les célébrités ont oublié pourquoi les gens les regardent avec des étoiles dans les yeux.”
Il y a cinq ans, Instagram n’existait pas…
Pfff, ne m’en parle pas! Je hais Internet! Malheureusement, je sais bien qu’aujourd’hui, on ne peut plus faire sans. Je pourrais continuer de nier l’utilité du truc, faire comme Prince et soutenir qu’Internet n’est “qu’une phase”. J’ai bien conscience qu’il ne s’agit pas d’une phase! (Rires.) J’essaie donc de ne l’utiliser que pour montrer des choses créatives, qui me représentent bien ou parlent directement de mon album. Ce que je n’aime pas, c’est de devoir absolument poster des choses en continu, tous les jours, dire quand j’ai été aux chiottes, tout ça. J’ai l’impression que toutes les célébrités ont oublié pourquoi les gens les regardent avec des étoiles dans les yeux. Personne n’a envie de lire “s’il vous plaît, achetez mon album”. Ça fait vraiment désespéré!
Tu es réfractaire à la technologie?
Non, j’ai un iPad, je ne suis pas non plus complètement à la masse à ce niveau-là. Et quand j’apprécie une photo, qu’elle me semble créative, je la poste sur Instagram, car c’est fait pour ça. J’ai d’ailleurs aussi un blog photo, que j’alimente en tournée. Je ne trouve juste pas très sain d’updater en permanence pour dire des choses vaines. Et puis la façon dont les gens sont accros à leur portable, c’est assez effrayant. Toutes ces ondes sont véritablement mauvaises pour notre santé.
Cinq ans après, tu n’es plus du tout androgyne, comme tu l’étais avant. Que s’est-il passé?
Je ne sais pas! Peut-être que j’ai moins peur d’être une femme. Je m’étais mis dans le crâne que je n’en étais pas une, et dès que j’étais un peu féminine, je me sentais mal. Je ne voulais pas être comme les autres. Je n’ai plus peur de ça, désormais. Je n’ai plus peur de rien, en fait, je suis juste moi.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
La Roux, Trouble in Paradise (Polydor), sortie le 21 juillet 2014.
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