Nelly Deflisque a plaqué sa vie parisienne le temps d’une année sabbatique. Chaque mois, elle nous raconte un bout de cette expérience hors du temps, mais surtout hors de nos frontières.
C’est comme une grosse bombe, un crabe. Hormis le fait qu’il se déplace de côté tranquillement, l’air de rien, comme le sale connard qu’il est. Tapi dans l’ombre depuis des mois, il a décidé fin mai de révéler sa présence en pinçant ma maman. Heureusement, les médecins l’ont débusqué à temps. En ce début d’été, ses cheveux roux volent dans la lumière du jardin et les séances de chimiothérapie rythment mon (nouveau) quotidien.
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En comparaison de ces derniers mois d’insouciance anglaise, mon atterrissage français fut assez violent. La coque de l’avion ne m’a pas protégée et mon corps tout entier s’est pris le goudron de la piste en pleine face. J’ai des bobos partout et j’ai même perdu cinq kilos. Le retour chez papa-maman était donc nécessaire, même si j’ai eu un tantinet de mal à m’adapter après de nombreuses années passée seule et indépendante dans mon petit appartement parisien…
Moi qui fais officiellement partie du comité français agréé (par moi-même) “Pose ton Boule et Fuck le Sport”, je prends tous les deux jours mon shoot d’effort, ma came de sueur sous le soleil, accompagnée d’un Pitbull bien gras dans les oreilles.
Je me retrouve ainsi à répondre aux appels de mon père incroyablement inquiet de ne pas me voir rentrer à 20h30, à manger à heures fixes (entrée-plat-dessert-héhé-paye-ton-repas-équilibré) et à m’assoupir dans mon lit d’ado à 23h30 tapantes après avoir fini mes bons vieux Tom-Tom et Nana. Pas très funky, ce ronron m’aide pourtant à tenir et à soutenir ma mère. La course à pied aussi. Moi qui fais officiellement partie du comité français agréé (par moi-même) “Pose ton Boule et Fuck le Sport”, je prends tous les deux jours mon shoot d’effort, ma came de sueur sous le soleil, accompagnée d’un Pitbull bien gras dans les oreilles. Si fort qu’il m’empêche d’entendre ces foutues angoisses. Inspire deux, souffle trois. Et bis repetita.
Et puis, dans cette aventure humaine qu’aucun participant de Koh Lanta ne dénigrerait, ma mère et moi avons fait la rencontre de Marc. Coiffeur et perruquier, il est à l’écoute des femmes et des (rares) hommes en traitement de chimiothérapie. Avec douceur et tact, il prend le temps de conseiller celles qu’il nomme “patientes” -et non clientes- à choisir leur nouvelle chevelure. En fibres synthétiques ou naturelles, les possibilités se déclinent aussi en de multiples couleurs.
S’attelant à la nouvelle parure d’été de ma mère, il nous parle avec passion de son métier. Une bonne dose de psychologie alliée à un sens de l’humour à toute épreuve sont ses principaux atouts pour aider les femmes à passer le cap de la perte des cheveux, symbole de féminité pour beaucoup. Ce moment angoissant où, face à la glace, le capillaire à terre, on prend conscience de son nouveau statut de malade. D’ailleurs, Marc est quelqu’un que Stromae aimerait bien: il se déplace aussi vite que le vent à domicile pour apporter la perruque si les cheveux de ses patientes tombent (presque) tous d’un coup. Formidable.
Au 3615 de l’amitié, on dirait que je suis bien tombée.
Et puis les amis. Ceux qui te téléphonent quasiment tous les jours pour prendre des nouvelles de ta mère et des tiennes, ceux qui te remontent le moral, t’écoutent pleurer, te coachent, te proposent un lit chez eux, histoire de souffler. Ceux qui t’entraînent à la fête médiévale de Provins, costumés en gueux du XIIème siècle, pour danser le branle et manger de délicieux et moyenâgeux tranchoirs (pains très secs sur lesquels sont généreusement disposées de la viande et de la sauce, miam), ceux qui te font faire des roues fantastiques sur le sable de Trouville et danser jusqu’au petit matin sur Le poinçonneur des Lilas de Gainsbourg le temps d’un weekend ensoleillé… Au 3615 de l’amitié, on dirait que je suis bien tombée.
Et pourtant, malgré ce relais solidaire génial, je reste figée dans mon quotidien. J’ai désormais beaucoup de mal à me projeter aux Philippines que je devais initialement rejoindre début juillet. Beaucoup de mal à rassembler mes idées, à penser aux vaccins et aux articles que je pourrais rédiger une fois sur place. Finalement, loin d’être linéaire et prévisible, cette année sabbatique semble bien me faire le coup des montagnes russes. Dorénavant, je vais devoir attacher plus fermement ma ceinture. Quoi qu’il en soit, avant de sauter à nouveau dans le manège, juste une chose: regarde-nous bien le crabe, ce n’est pas encore Noël mais, avec ou sans mayo, je le jure, je le promets, on va te bouffer.
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