Ancien grand espoir du football français, Soufiane Koné, 31 ans, dort aujourd’hui en prison, condamné pour trafic de drogue et association de malfaiteurs. Récit d’une dégringolade plus cruelle qu’il n’y paraît.
Il n’a même pas fait appel. Condamné le 13 juillet dernier, Soufiane Koné purge actuellement une peine de cinq ans de prison pour trafic de drogue et association de malfaiteurs. Au jeu des remises de peine, et au vu de sa bonne conduite depuis son arrestation, il y a quatorze mois, il peut espérer sortir dans moins de deux ans. D’ici là, il a prévu de passer son permis de conduire et espère pouvoir s’entretenir physiquement : faire de la musculation, courir et, si possible, taper dans ce ballon qui aurait dû le mettre à l’abri des soucis…
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Il y a une dizaine d’années, Soufiane Koné était l’espoir le plus convoité du football français. Pour s’offrir ses services, Parme et Dortmund s’apprêtaient à casser leur tirelire, alors qu’Arsène Wenger voyait en lui le successeur de Nicolas Anelka à la pointe de l’attaque d’Arsenal. Puissant, rapide, buteur, Soufiane Koné brillait sous le maillot de Nancy à seulement 18 ans et semblait au seuil d’une immense carrière. Nul ne pouvait l’ignorer. Pas même Raymond Domenech, qui le présélectionna en équipe de France Espoirs, au terme de la saison 1998-1999.
Mais les choses se compliquèrent dès le début de l’exercice suivant. Parti disputer le championnat d’Europe juniors en Suède, Soufiane revient fatigué, endolori. Il demande une coupure de quelques jours, mais Nancy, dépourvu en attaque, a besoin de lui. Alors Soufiane serre les dents, se fait violence. Il se blesse à la cuisse, le 9 août 1999. Puis tombe pour de bon, quinze jours plus tard. A l’entraînement, au moment de frapper le ballon, son genou gauche se bloque et craque. Hurlant de douleur, l’attaquant est évacué vers la polyclinique de Gentilly, où une IRM révèle une rupture des ligaments croisés, doublée d’un étirement du nerf sciatique. Nous sommes le 24 août 1999.
« Tu seras encore plus fort qu’avant »
C’est le début de la fin mais Soufiane, 19 ans et deux mois, ne le sait pas encore. Gamin, il a dû vaincre l’asthme pour percer dans le football, alors il s’accroche, se bat contre un diagnostic de plus en plus précis et cruel. Dans le dossier médical, il est écrit “sciatique poplité externe distendu”. Le nerf sciatique est foutu, et le processus de repousse est extrêmement lent. Soufiane se maintient en forme, travaille le haut du corps, mais sa jambe reste paralysée. Pendant de longs mois, il ne peut ni poser le pied à terre, ni bouger les orteils.
En mai 2001, presque deux ans après sa blessure, Koné ne rejoue toujours pas mais il s’obstine. En rupture avec le club de Nancy, il se retape avec un préparateur physique indépendant, spécialisé dans la remise en forme des sportifs et connu de nombreux footballeurs pro. Enfin des progrès se font sentir. A Calais puis Barcelone, où il s’entraîne seul des heures durant, Koné court, sprinte, tape dans le ballon. Son préparateur n’a aucun doute sur le fait qu’il rejouera au plus haut niveau. “Tu seras encore plus fort qu’avant”, lui dit-il.
Pourtant, au club, plus personne n’y croit. S’appuyant sur deux avis médicaux préalables, les dirigeants nancéens semblent persuadés que Soufiane Koné ne rejouera plus jamais au haut niveau. Désormais, ils veulent limiter la casse financière. Comme tous les joueurs pro, Koné est en effet assuré et pour prétendre à l’indemnité de 4 millions d’euros, Nancy doit faire la preuve que Soufiane Koné est inapte à la pratique du football. Mais il faut aller vite. Passé le terme du contrat liant le joueur au club, en 2003, Nancy aura tout perdu.
Déclaré inapte
En mai 2002, après avoir refusé une première expertise, Koné, désormais seul, sans agent, ni avocat, est contraint de se soumettre à un nouvel examen. Il est officiellement déclaré inapte à la pratique du football et ne pourra plus jamais jouer en pro. Convaincu de sa capacité à se remettre sur pied, Koné s’estime floué. Aujourd’hui encore, il se souvient que l’examen médical fut extrêmement rapide. On lui demanda simplement, dit-il, d’enlever son pantalon, pour montrer son genou, puis de faire le tour de la pièce en marchant. Koné est convaincu que Nancy a sacrifié ses espoirs de retour, dans le simple but de toucher une compensation financière.
Jacques Rousselot, le président du club de Nancy, se défend :
“Pour nous aussi, sa retraite anticipée était une catastrophe, mais que pouvions-nous faire ? Nous lui avons laissé deux ans pour se retaper, combien de temps fallait-il attendre ? Les médecins nous assuraient qu’il ne pourrait jamais rejouer. Et l’assurance ne nous a pas indemnisés à hauteur de 4 millions. Comme Soufiane s’est blessé seul, l’assurance a contesté la validité de l’indemnisation, et nous avons dû transiger pour une somme bien inférieure…”
Son casier judiciaire s’étoffe
A 22 ans, Soufiane Koné se retrouve sans job. Avec les 933 euros d’indemnités mensuelles que lui verse la Sécurité sociale il tente de changer de vie. Il retourne à Evry, retrouve ses potes d’adolescence, fait ses premières conneries. En 2000, il est contrôlé en possession d’un revolver 22 long rifle. Puis, il enchaîne les délits routiers. Plus tard, il est arrêté en possession d’une bombe lacrymogène. Vierge avant sa blessure, son casier judiciaire s’étoffe.
Soufiane Koné est en voie de reconversion, mais il n’a pas complètement renoncé au football. Il joue avec ses potes en bas de l’immeuble et ne ressent plus de douleur. Il se met au foot en salle, puis s’en va tenter sa chance à Cannes, qui évolue en quatrième division et dispose d’un statut amateur. Il joue deux matchs, avant de s’embrouiller avec les dirigeants. Il file alors à Virton, en troisième division belge, où il évolue de 2004 à 2006. Soufiane Koné n’a plus les qualités de vitesse et de technique qui firent un jour dire à l’entraîneur roumain László Bölöny que le seul joueur aussi doué qu’il ait jamais entraîné était Cristiano Ronaldo. Mais il joue bel et bien au football, démentant de fait les examens médicaux qui l’avaient condamné.
Désormais, Soufiane réside à Saint-Julien-lès-Metz, en Lorraine. Il occupe un petit appartement, entouré de ses potes et de plusieurs chiens. Le football ne lui assurant plus de revenus substantiels, il se fait embaucher par une boîte de sécurité. Videur, payé au smic, il officie notamment au Bling, un night-club messin, qui lui permet d’épaissir dangereusement son carnet d’adresses. Est-ce à ce moment-là qu’il bascule définitivement ? “Très possible”, répond un inspecteur qui a travaillé sur le dossier.
« J’aimerais qu’on ne me juge pas sur des fantasmes »
Au terme d’une enquête de huit mois, Soufiane Koné a été arrêté, en mai 2010, à Frankenthal, en Allemagne, où il se trouvait chez sa petite amie. Le même jour, les forces de l’ordre appréhendaient vingt autres personnes en France et saisissaient 650 grammes d’héroïne, 50 grammes de cocaïne et plus de 10 000 euros d’espèces. Des faux papiers, des gilets pare-balles et sept armes à feu, dont un fusil d’assaut Kalachnikov et un pistolet mitrailleur, étaient retrouvés.
D’après les enquêteurs, Soufiane Koné était à la tête d’un réseau structuré, qui écoulait chaque mois 4 kilos de cocaïne et héroïne. Surnommé “Hollywood” par ses complices, Koné était entouré de trois lieutenants en charge de la vente en gros et des relations avec une chaîne de revendeurs et guetteurs. Chacun d’entre eux était payé entre 200 et 300 euros par jour. Selon les enquêteurs, c’est la première fois qu’un réseau basé dans l’est de la France avait pris une telle ampleur.
Surprenant de calme et d’éloquence, Soufiane Koné a pourtant tenté, tout au long du procès, de minimiser l’envergure du trafic. “L’affaire a pris une ampleur incroyable parce que j’ai un certain passé, a-t-il plaidé. J’aimerais qu’on me juge sur des faits, pas sur des fantasmes.” Les armes ? “J’ai volé des sacs en pensant que c’était de l’argent et elles étaient dedans.” Les écoutes téléphoniques confondantes ? “On n’a pas prouvé que c’était moi l’interlocuteur, que c’était ma voix.” Sa voie, c’était le football.
Marc Beaugé
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