À l’occasion du Mondial de football, le Brésil s’apprête à accueillir 600 000 touristes étrangers. Un afflux qui inquiète les autorités publiques, soucieuses de protéger les mineurs d’un tourisme sexuel devenu fréquent.
Depuis quelques jours, le monde entier a les yeux rivés sur le Brésil. Si les retards de construction de stades et les récentes grèves ont fait la Une des journaux, une autre préoccupation, moins visible, inquiète les autorités et les associations de protection de l’enfance. Le Brésil est devenu, à l’image de la Thaïlande, une destination mondiale du tourisme sexuel. Alors, tous, tentent de résoudre ce casse-tête: comment contenir le phénomène alors que le pays s’apprête à recevoir 600 000 étrangers et que trois millions de Brésiliens sont amenés à voyager dans tout le pays?
“Il ne s’agit pas de stigmatiser les supporters, mais ils ont parfois l’occasion de succomber aux tentations offertes.”
Pour commencer, des codes de conduite ont été distribués aux chauffeurs de taxis et aux réceptions d’hôtels. Une campagne nationale, “Ne détourne pas les yeux”, a été lancée dans tout le pays. Sur des affiches géantes, les stars du football brésilien Kakà et Juninho délivrent un message sans équivoque à destination des supporters: “L’exploitation sexuelle des enfants est un crime”. Mais cela ne veut pas dire que derrière chaque fan de foot se cache un prédateur sexuel, tempère Jean-Cyril Spinetta, président d’honneur d’Air France et partenaire de la campagne: “Il ne s’agit pas de stigmatiser les supporters, mais ils ont parfois l’occasion de succomber aux tentations offertes”, glisse-t-il.
Les enfants pauvres en première ligne
Et certains lieux sont plus sensibles que d’autres. Comme le Nordeste, la région la plus pauvre du Brésil, dont les plages paradisiaques et le climat ensoleillé attirent des touristes venus de partout. Parfois pour le pire… Suzana, 17 ans, voix grave et visage émacié, a vite compris que ces étrangers pouvaient être une source d’argent. Maltraitée par sa mère, elle se retrouve à la rue à 10 ans et commence à se prostituer. “Un jour, mes copines m’ont dit: ‘Viens, ça va être sympa’. On est allées sur la plage de Ponta Negra, parce qu’il y a beaucoup de touristes. On les attendait, ils venaient en voiture et on partait avec eux.” Pour quelques euros ou parfois un simple repas, Suzana a vendu son corps pendant près de sept ans.
Genilson a, lui aussi, commencé à se prostituer alors qu’il n’était qu’un enfant. Il raconte dans un livre témoignage, Histoires de vies transformées: “J’ai commencé à me prostituer parce que je n’avais rien à manger et que je ne savais pas où dormir. Parfois, je partais avec des hommes mais ce n’était même pas pour l’argent, c’était pour avoir un endroit où dormir, un lieu sûr où je n’aurais pas à rester par terre mais dans un lit.”
Le fantasme de la Brésilienne
Aujourd’hui, Suzana et Genilson ont tourné la page et s’en sont sortis grâce à Vira Vida, un programme financé par des fonds privés qui vient en aide aux jeunes prostitués. Ana Paula Felizardo, présidente de l’ONG Resposta qui lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs, a commencé à militer à l’âge de 25 ans après une conversation sur une plage avec une petite fille de huit ans. “Les touristes sont gentils, ils me donnent des chocolats mais je n’aime pas quand ils me touchent”, lui raconte l’enfant. Neuf ans plus tard, Ana Paula est toujours aussi révoltée et accuse sans détour le gouvernement brésilien d’avoir sacrifié des milliers de mineurs.
“La samba, le foot, des métisses sexy suggérant que nous autres, Brésiliennes, sommes toutes chaudes comme de la braise…”
Selon elle, les publicités officielles des années 1980 et 1990, exhibant le corps de sculpturales Brésiliennes, auraient contribué à donner une vision dégradante du pays et de ses habitantes. “La samba, le foot, des métisses sexy suggérant que nous autres, Brésiliennes, sommes toutes chaudes comme de la braise… C’est le fantasme que le Brésil a voulu construire”, regrette-t-elle.
Le recours à la sanction
Aujourd’hui, le ton a changé et le Brésil tente de casser cette image, quitte à passer par le biais législatif. Depuis 2009, il est interdit de commercialiser les fameuses images de Brésiliennes en string qui inondaient les kiosques à souvenirs. Mais les clichés ont la dent dure. Ainsi, Adidas a cru pouvoir booster ses ventes sur le marché américain en distribuant deux t-shirts particulièrement sexistes. Le premier, orné du slogan “I love Brazil”, était assorti d’une paire de fesses en string; le second montrait une jeune femme en bikini, ballon à la main, avec une inscription à double sens, “Looking to score”: envie de marquer un but ou, plus crûment, envie de conclure.
Dilma Rousseff a annoncé que le Brésil se réjouissait d’accueillir les touristes du monde entier mais que son pays était également prêt à lutter contre le tourisme sexuel.
De quoi déclencher les foudres jusqu’au plus haut sommet de l’État. Eleonora Menicucci, la ministre de la condition féminine, a parlé de “manque de respect” de l’équipementier allemand. De son côté, Dilma Rousseff, la présidente, a réagi sur son compte Twitter. Sans citer Adidas, elle a annoncé que le Brésil se réjouissait d’accueillir les touristes du monde entier mais que son pays était également prêt à lutter contre le tourisme sexuel. Face à ce bad buzz, la marque a immédiatement retiré les deux modèles de la vente.
Alors que s’ouvre la Coupe du monde, le Brésil reste donc sur ses gardes et promet d’être vigilant sur la question pendant le mois à venir. Et ceux qui pensent pouvoir échapper à la justice brésilienne une fois la frontière franchie se trompent… La France et d’autres pays ont mis en place des lois extra-territoriales qui permettront de poursuivre les auteurs d’abus sexuels sur mineurs jusque chez eux. Toute personne coupable d’atteinte sexuelle envers un mineur encourt de trois à sept ans de prison.
Rahabi Ka (au Brésil)