La romancière publie aujourd’hui La Maquisarde (Grasset), qui retrace le combat d’une jeune paysanne pendant la guerre d’Algérie. Une façon pour Nora Hamdi de s’emparer de son histoire familiale.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour la première fois de sa vie, la romancière et réalisatrice Nora Hamdi s’est penchée sur son histoire parentale pour écrire La Maquisarde. Cette maquisarde, c’est sa mère, qui, comme beaucoup de femmes, a participé activement à la guerre d’Algérie et a connu l’arrestation et la torture, avant de venir s’installer en France puis d’élever discrètement ses douze enfants sans jamais s’épancher sur son passé. La lutte clandestine est une facette du conflit que la deuxième génération connaît mal et que Nora Hamdi a voulu explorer pour se la réapproprier. “En commençant mes recherches pour ce roman, je me suis rendu compte que je ne trouvais que la parole d’historiens ou de pieds-noirs, mais jamais celle des Algériens, confie-t-elle. Il faut que cela change.”
“Je sais depuis que j’écris que je parlerais un jour de l’Algérie, le pays de mes parents que je ne connaissais pas jusqu’à présent.”
Si l’auteure a bien conscience de s’attaquer à un sujet doublement délicat (les femmes et l’indépendance algériennes), elle espère que, comme elle, les enfants d’immigrés seront nombreux à vouloir écrire l’histoire de leurs parents, qui est aussi la leur. “Ce livre est une façon de faire revivre toutes les femmes mortes dans l’oubli, sourit-elle. Pour moi, c’est très important.” En hommage à ces combattantes anonymes, Nora Hamdi répond à notre interview “Maquis”.
Quand as-tu entendu parler pour la première fois du maquis algérien?
J’ai toujours entendu ma mère évoquer ses montagnes, mais elle ne le faisait que par bribes. À la mort de sa propre mère, il y a dix ans, elle a compris qu’elle devait raconter son histoire et a commencé à se livrer. En ce qui me concerne, je sais depuis que j’écris que je parlerais un jour de l’Algérie, le pays de mes parents que je ne connaissais pas jusqu’à présent. Quand j’ai réalisé que ma propre mère avait un passé incroyable, je m’en suis servi comme point de départ pour mes recherches.
Il ressemble à quoi ce maquis algérien?
Il est rempli d’oliviers, de figuiers, et si tu ne connais pas les lieux, tu es foutu. Mon oncle, qui vit en Algérie et qui tient une association d’anciens maquisards, m’a emmenée tout en haut des montagnes, dans l’ancien village de ma famille qui a été détruit pendant la guerre. J’ai mieux compris pourquoi l’armée française ne pouvait pas s’y retrouver à l’époque, c’est très dur de se repérer. Aujourd’hui, c’est encore dangereux car beaucoup de terroristes s’y cachent.
“Malheureusement, une fois la guerre gagnée, les femmes n’ont pas obtenu les droits escomptés.”
Prendre le maquis, c’est un truc d’hommes?
Officiellement, oui. La participation des femmes reste très taboue, particulièrement sur le maniement des armes: celles qui y ont touché ne le disent pas. Mais dans les faits, beaucoup d’entre elles se sont impliquées dans la guerre. J’irais même jusqu’à dire que sans elles, il n’y aurait pas eu d’indépendance. Malheureusement, une fois la guerre gagnée, les femmes n’ont pas obtenu les droits escomptés. Un peu comme sur la place Tahrir en Egypte, pendant les révolutions arabes: après avoir activement participé, les femmes ont été les premières éjectées.
Toi, tu serais capable de prendre le maquis?
C’est une question que je me suis posée pendant que j’écrivais. J’ai réalisé que sous ses airs de mère au foyer tranquille, ma mère avait eu une vie hors du commun. Est-ce que j’aurais eu son courage? Elle a vécu des trucs très durs dans les camps où elle a été enfermée. C’est fou, sous sa djellaba se cache une héroïne de films américains! J’ai mieux compris pourquoi elle nous répétait toujours qu’on avait de la chance de dormir dans un vrai lit et de manger à notre faim. Notre génération est beaucoup moins courageuse.
“Les enfants d’immigrés ne connaissent pas l’histoire de l’Algérie, alors que ça les rendrait plus forts de savoir.”
Que sait la deuxième génération de l’histoire de ses parents?
Peu de choses. Les enfants d’immigrés ne connaissent pas l’histoire de l’Algérie, alors que ça les rendrait plus forts de savoir. Ils ont l’impression qu’ils ne sont pas les bienvenus, mais ils vivront davantage en paix avec la France une fois qu’ils auront fait ce travail. Aujourd’hui, ce sont les anciens qui ont la parole, côté français comme côté algérien, et ils se taisent. Il n’y a qu’à voir le peu d’évènements qui ont été organisés pour les 50 ans de l’indépendance en 2012. Ce n’est pas avec le silence qu’on va avancer.
Qu’as-tu appris en enquêtant sur le maquis?
J’ai tout appris. Quand j’étais à l’école, dans les années 70, on parlait encore d’“évènements” pour évoquer la guerre d’Algérie et on n’abordait pas le sujet en classe, c’était encore trop proche et trop tabou. Ma mère s’énervait souvent en regardant la télé et me disait que ce n’était pas ça, la vraie histoire. Aujourd’hui, je comprends beaucoup mieux la situation politique actuelle de ce pays encore très jeune. Si tout le monde s’y intéressait vraiment, il y aurait moins d’amalgames avec des pays comme la Palestine ou l’Arabie Saoudite.
“La génération de ma mère a gardé une vraie modernité, peut-être plus importante que celle des jeunes Algériennes.”
Y a-t-il de la place pour les femmes dans cette histoire?
Oui. Pendant la guerre, elles se sont battues pour l’indépendance de leur pays et leur indépendance à elles, même si elles ont été déçues à l’arrivée. Je trouve que la génération de ma mère en a gardé une vraie modernité, peut-être plus importante que celle des jeunes Algériennes. Quand je suis allée en Algérie pour mes recherches, je me suis habillée comme les locales et pourtant dans la rue, tout le monde devinait que j’étais française. On m’a dit que c’était à cause de ma façon de regarder les gens dans les yeux, d’être directe. Et je me suis dit que les femmes avaient beau avoir lutté, elles n’avaient pas encore obtenu de pouvoir faire ça.
Propos recueillis par Myriam Levain
{"type":"Banniere-Basse"}