Nelly Deflisque a plaqué sa vie parisienne le temps d’une année sabbatique. Chaque mois, elle nous raconte un bout de cette expérience hors du temps, mais surtout hors de nos frontières.
Elle disait tout le temps “Start to use your brain!” (Ndlr: “Commence à utiliser ton cerveau!”) en tournant le doigt autour de sa tempe. Elle appuyait constamment -et de manière très irritante- sur le “au” du “because”, le sourcil en pointe. Elle nous a acheté des t-shirts rouges à très gros décolletés pour servir du poulet frit à ses clients en costume. En vrai, ma boss était vraiment odieuse et/ou harcelante, au choix. J’ai donc naturellement appris le verbe démissionner en anglais: to resign. J’ai dénoué mon tablier noir, saisi mon manteau et pris la porte. Après un mois de service.
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Retour à la case départ, CV sous le bras, non sans avoir au préalable appelé maman-chéri-copines pour pleurer sur mon triste sort de démissionnaire en Angleterre. Moi qui pensais avoir trouvé mes repères dans cette nouvelle vie, j’ai vite vu mon quotidien s’affadir… J’ai commencé et fini en quatre jours de temps -roulée en boule sous la couette- les saisons 1 et 2 de House of Cards, regardé Les Temps modernes de Chaplin la larme à l’œil et du chocolat plein la bouche. Puis, d’agacement, j’ai même lancé mon premier “fuck”, accompagné d’un élégant signe du majeur, à l’attention d’une scientologue qui me proposait de faire un test de personnalité dans la rue.
Sensation nouvelle et étrange de me sentir si proche de la France et des Français en Angleterre.
À dire vrai, je commençais à filer un mauvais coton en ce début avril… Aussi, pour me détendre un peu, Maggie et Zuzanna, mes deux super colocataires, m’ont entraînée une journée à Londres. C’est au Borough Market (un incroyable marché alimentaire dans le sud-est de la capitale) que j’ai retrouvé des couleurs et un peu d’estime de moi: le temps d’un après-midi, je suis devenue guide spirituelle, spécialiste en huîtres et fromages-français-qui-puent. Non sans fierté, j’ai joué l’ambassadrice de notre bon vieux terroir au travers des étals tous plus appétissants les uns que les autres. Cocorico!
Nota bene 1: sensation nouvelle et étrange de me sentir si proche de la France et des Français en Angleterre alors que quelques mois auparavant, durant les protestations (folles) de certains de mes concitoyens pour empêcher le mariage homosexuel, je n’avais qu’une envie: partir vite et loin.
Nota bene 2: La même loi, entrée en vigueur le 29 mars dernier chez les Britanniques est passée comme du pudding à la poste. Finger in the nose, comme on dit.
Le piège? Croire que lorsque l’on peut plus ou moins tenir une conversation avec un Anglais, c’est dans la pocket.
Côté apprentissage de la langue, je prends des cours privés d’anglais avec Nick, acteur et chanteur de son état. On croque des bonbecs, on se bidonne pas mal, mais surtout on rame à me faire comprendre la différence entre le past simple et present perfect simple. Il dessine des schémas de “learning curve” pour me montrer mes progrès, mais je reste indubitablement coincée dans le creux de la courbe. Le piège? Croire que lorsque l’on peut plus ou moins tenir une conversation avec un Anglais, c’est dans la pocket. Faux, j’ai (encore) du rosbeef sur la planche…
La féministe que je suis est également partie à la rencontre d’une association de militantes à Birmingham qui se réunit trois fois par mois. Autour d’un délicieux thé vert, j’ai découvert leurs engagements, leurs dissensions, leurs actions (dernière en date: elles accrochent des messages féministes percutants en ville et sur leurs vêtements). Et Rachel. Même âge, mêmes questionnements sur le militantisme, même intérêt pour le débat passionné. En France, j’ai très peu d’ami(e)s qui se revendiquent féministes… Il fallait donc que je m’expatrie à plusieurs centaines de kilomètres pour avoir le coup de foudre. Tellement qu’on s’aime bien Rachel et moi, on va se revoir cette semaine pour partager nos avis sur Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Je veux rester là pour toujours.
À Birmingham, le turnover dans la restauration est impressionnant, principalement en raison du nombre important d’étudiants.
Et puis, bonne nouvelle, j’ai retrouvé facilement du boulot. À Birmingham, le turnover dans la restauration est impressionnant, principalement en raison du nombre important d’étudiants (il y a trois universités en ville). Les Polonais sont aussi très nombreux à y travailler, notamment depuis l’adhésion du pays à l’Union européenne en 2004. La plupart m’expliquent ne pas se sentir soutenus par leur pays d’origine et trouvent en Angleterre une opportunité de trouver du travail facilement (même si le métier est bien souvent peu en rapport avec leurs qualifications) et de mettre de l’argent de côté… L’idée étant de revenir s’installer un jour plus confortablement en Pologne.
Enfin, pour terminer, je me dois d’être honnête sur cette histoire de démission: oui, je l’ai toujours mauvaise contre mon ex-boss… “We are family, we are family”, qu’elle disait, tu parles d’une hypocrisie! Aussi, j’ai décidé de me la jouer badass. Devinez donc qui recevra toutes les semaines, et ce jusqu’à la fin de l’année, une carte postale de cerveau dans sa boîte aux lettres? With love.
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