Alors que quatre policiers sont accusés de viol par une touriste canadienne, l’ancienne flic Sihem Souid, auteure du très médiatique Omerta dans la police, voit dans cette affaire un nouvel indice du sexisme qui prospère dans les commissariats français.
Son livre Omerta dans la police (Le Cherche-Midi, 2010) lui a valu beaucoup de parutions dans la presse et presque autant de détracteurs dans le milieu de la police, où le profil de Sihem Souid dérange. A l’époque, la jeune femme de 29 ans travaille au sein de la police aux frontières d’Orly et dénonce dans cet ouvrage le racisme et le sexisme ordinaires qu’elle a pu observer en exerçant ses fonctions. Un témoignage d’autant plus percutant qu’elle y raconte avoir elle-même été victime de viol et ne pas avoir été prise au sérieux par ses propres collègues.
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“La victime de viol devient très souvent la coupable, et le violeur devient la victime. Il faut toujours prouver par A+B que le rapport n’était pas consenti.”
Cette culpabilisation des victimes de viol, Sihem Souid n’a jamais cessé de la dénoncer, même quand elle a été jugée -puis relaxée en 2013- pour violation du secret professionnel. Avant d’être détachée de la police, Sihem Souid avait d’ailleurs été mutée, à sa demande, vers la cellule d’aide aux victimes de la préfecture de Paris. Depuis vendredi, la garde à vue de quatre membres de la police judiciaire, puis la mise en examen de deux d’entre eux pour viol en réunion, est un tremblement de terre pour le 36, quai des Orfèvres. Sihem Souid, aujourd’hui chargée de mission au ministère de la Justice, décrypte pour nous cette affaire.
Cette affaire, qui vise l’élite de la police, vous surprend-elle?
Malheureusement non, mais elle m’attriste. Elle me rappelle des moments de ma vie qui sont derrière moi et que je préfèrerais oublier: je suis passée à autre chose depuis. Je n’ai pas été violée par un policier, mais j’ai été très mal reçue au moment de déposer plainte. La victime de viol devient très souvent la coupable, et le violeur devient la victime. Il faut toujours prouver par A+B que le rapport n’était pas consenti. J’ai toujours constaté ce mauvais traitement, mais je l’ai vu de plus près quand je travaillais à la cellule d’aide aux victimes, où l’on a reçu plusieurs plaintes de femmes dénonçant l’accueil déplorable qui leur avait été fait.
Par le passé, vous avez déjà dénoncé des viols commis par des policiers…
Oui cela existe, mais on étouffe tout le temps ces affaires, parce qu’elles donnent une mauvaise image de la police. Et même en interne, il n’y a pas nécessairement de sanctions envers les coupables. La plupart du temps, ça se règle par une mutation de la victime là où elle le souhaite: des changements de poste normalement très difficiles à obtenir s’accélèrent tout à coup et on n’en parle plus. Cela explique qu’il règne un sentiment d’impunité au sein de la police. Ces hommes travaillaient au “36”, c’est l’élite du métier: ils ont dû croire qu’ils ne seraient jamais mis en cause, parce que d’habitude, ce sont eux qui mettent en cause.
“Je suis convaincue que si cette jeune femme était française et non canadienne, tout ça n’aurait pas fait autant de bruit.”
Comment expliquer que, cette fois, l’affaire n’ait pas été étouffée?
Je suis convaincue que si cette jeune femme était française et non canadienne, tout ça n’aurait pas fait autant de bruit. Mais là, son ambassade l’a soutenue, elle était accompagnée par un diplomate au moment de déposer plainte. Les médias anglo-saxons sont d’ailleurs très sévères envers notre police. Par ailleurs Bernard Cazeneuve est un excellent ministre de l’Intérieur: contrairement à Claude Guéant ou d’autres, qui auraient tout de suite pris la défense des policiers, il a promis qu’il y aurait des sanctions si les faits étaient avérés. C’est ce que doit dire un ministre de l’Intérieur qui se veut républicain.
Ces mises en examen vont-elles jeter un discrédit sur la police?
Bien sûr, et beaucoup de collègues sont déçus. Je respecte la présomption d’innocence et pour l’instant ces quatre policiers ne sont pas condamnés. Mais tout de même, quand on veut passer un bon moment avec une fille, on ne l’emmène pas dans son bureau, si? Surtout quand c’est interdit. De même, quand on n’a rien à se reprocher, on ne cache pas les bas et les lunettes d’une femme. Ce qui m’interpelle le plus dans cette histoire, c’est que les accusés ont fermement nié tout rapport sexuel avant que l’un d’eux n’avoue. Pour avoir reçu pas mal de plaintes dans ce domaine, un homme accusé à tort de viol après un rapport sexuel consenti dit tout de suite qu’il y a eu rapport et n’essaye pas de le cacher.
“On devient policier par conviction: on représente les valeurs républicaines, on se doit d’être irréprochable.”
Le sexisme ordinaire est donc une réalité au sein de la police?
Malheureusement, cette affaire légitime ce que je dis depuis longtemps. A l’époque, on avait trouvé mon livre un peu pessimiste, mais il reflète le machisme qui existe dans notre police. Peut-être que la police n’est ni pire ni meilleure que le reste de notre société, mais elle devrait être exemplaire, au contraire. Ce n’est pas un métier comme les autres, on devient policier par conviction: on représente les valeurs républicaines, on se doit d’être irréprochable.
Quels sont vos rapports avec la police, maintenant que vous n’exercez plus?
J’ai gardé de nombreux amis au sein de la police, qui reste une belle maison, avec des gens extraordinaires qui y travaillent. Malgré tout, je suis optimiste quant à l’évolution des mentalités, qui peuvent s’améliorer de l’intérieur si on n’essaye pas d’étouffer ce qui ne va pas. Cacher les problèmes, ce n’est pas les solutionner. Au contraire, il faut sanctionner. A ce titre, la nomination de Bernard Cazeneuve place Beauvau est une bonne nouvelle. Pour une fois, on a un ministre qui n’est pas dans le show et qui agit vraiment, dans l’ombre.
Propos recueillis par Myriam Levain
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