À 38 ans, elle a réussi sa reconversion: cette avocate devenue humoriste est actuellement à la Comédie de Paris, avec son spectacle Caroline Vigneaux quitte la robe. On l’a soumise à une interview “Code civil” et elle nous a juré de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Caroline Vigneaux est une forte tête. De celles qui ont tout, y compris l’autodérision, dont elle a fait son métier après avoir laissé au placard sa robe d’avocate. La révélation, elle l’a eue lors d’un spectacle de fin d’année de l’école du barreau: déguisée pour l’occasion en Olivia Newton-John dans Grease, elle goûte au plaisir des planches le temps d’une soirée -même si, en parallèle de sa vie rangée d’avocate d’affaires, elle réserve déjà quelques heures à l’écriture de sketches pour l’Union des jeunes avocats (UJA). En 2007, elle fait partie d’un groupe invité à se produire lors de la Nuit des Duos, au Zénith de Paris: “On s’est pris un four -silence total dans la salle-, mais j’étais comme une dingue, avec le sourire jusqu’aux oreilles. Au bureau le lendemain matin, je n’arrivais plus à me concentrer.” L’idée de tout lâcher pour devenir comédienne commence à faire son chemin, jusqu’à s’imposer comme une évidence. Un saut dans le vide qui semble lui avoir réussi, puisque son one-woman-show très fortement autobiographique squatte la Comédie de Paris depuis plusieurs mois.
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Comment as-tu décidé de faire le grand saut et de plaquer ton job?
Après trois semaines de débat intérieur, d’écriture de brouillons de lettres, de demi-tours devant le bureau du boss, j’ai posé ma démission. J’ai pris cette décision quand j’ai réalisé que l’unique chose qui m’empêchait d’y aller, c’était l’argent. Je trouvais ça trop triste comme motif, alors j’ai foncé.
“C’est horrible, mais je suis une jeune fille de bonne famille, bien sous tous rapports, première de la classe.”
Quelle déformation professionnelle gardes-tu de ton époque en robe?
La boulimie de travail. Si je ne travaille pas, j’ai l’impression que je suis une grosse feignasse. Du coup, il y a une espèce d’angoisse qui naît tout de suite. D’ailleurs, il ne se passe pas une journée depuis 2009 sans que je ne travaille mon spectacle. Tous les jours, je m’enregistre, je me réécoute et j’arrive au théâtre avec des modifications.
Quelle a été ta pire entorse au code civil?
C’est horrible, mais je suis une jeune fille de bonne famille, bien sous tous rapports, première de la classe. C’est dramatique: je ne suis pas du tout funky. J’ai fait le mur une fois, mais ce n’est même pas une entorse au code civil, c’est une entorse au code parental. Ce qui est drôle quand tu fais le mur, c’est que tu ne profites de ta soirée qu’a posteriori. Pendant toute la soirée, tu danses, mais tu as une espèce de stress qui t’empêche de kiffer. Et au moment où tu es dans ton lit, que tu as refermé la fenêtre et que tu ne t’es pas fait choper, alors là, c’est le kif.
Que proposes-tu pour concurrencer le code civil?
Le code de l’humour, ça ferait du bien à beaucoup de gens. L’article principal serait l’obligation de ne pas se prendre au sérieux, quelle que soit la situation. J’ai beaucoup souffert du manque d’humour quand j’étais avocate. Je comprends que, devant son client, on soit obligé de parler de choses très pros, mais quand on est entre avocats, il faut lâcher du lest. Moi, j’aimais bien faire des petites blagounettes: avec certains, ça passait très bien, avec d’autres, pas du tout. Je trouve qu’on vit mieux, qu’on se sent mieux quand tout n’est pas un drame.
“Les femmes se sont battues pour avoir le droit d’être avocates et pour les congés maternité. Avant, elles accouchaient quasiment à la barre et retournaient travailler dès qu’elles pouvaient marcher.”
Tu dresses un portrait peu flatteur d’une femme à la tête d’un cabinet de droit des affaires. On aimerait bien qu’elle tienne du mythe, mais elle a l’air très réelle. Qu’en est-il vraiment?
Malheureusement, elle est méga réelle. J’avais envie d’en parler dans mon spectacle, car c’est quelque chose que je ne comprends pas: les femmes se sont battues pour avoir le droit d’être avocates et pour les congés maternité. Avant, elles accouchaient quasiment à la barre et retournaient travailler dès qu’elles pouvaient marcher. Petit à petit, les choses se sont améliorées. Mais ça a engendré un phénomène étrange: les femmes qui n’ont pas eu cette chance-là trouvent dégueulasse que d’autres, plus jeunes, l’aient aujourd’hui. Du coup, elles leur font payer, en refusant par exemple de les associer. Résultat, peu de femmes deviennent associées, ou alors au prix de sacrifices qu’à mon sens, un jour, elles pourront regretter -ne pas avoir d’enfants ou ne pas les voir grandir.
Tu dis dans ton spectacle que la violence faite aux femmes est moins pénalisée que celle faite aux chats. Si c’est vrai, ça ne te donne pas envie de remettre la robe?
Ce que j’essaie de dire, c’est qu’on ne prend pas assez quand on tape une femme. J’aimerais bien qu’il n’y ait pas de sursis, qu’on explique aux gens qu’on ne peut pas se servir du corps d’une femme comme on en a envie. Ce qui m’a le plus choquée, c’est que la plupart des hommes qui avaient commis un viol et que je récupérais après leur garde à vue, avant de passer devant le juge d’instruction en commission d’office, ne comprenaient pas que je leur parle de crime. Beaucoup me disaient “ah ouais alors si je la tue, c’est pareil”. C’est assez effrayant et il y a un vrai travail d’information à faire.
“Quand tu es obligée d’expliquer ta blague, c’est qu’elle n’est pas bonne.”
Donne-nous ta meilleure (ou pire) blague de juriste…
J’en avais plein… Notamment des blagues américaines, mais elle ne marchent pas bien en France. Quand tu es obligée d’expliquer ta blague, c’est qu’elle n’est pas bonne.
Le premier article du code incivil, par Caroline Vigneaux?
Il y a quelques années, j’aurais dit “autoriser de nouveau la cigarette dans les lieux publics”, mais je suis devenue une accro aux restos non-fumeurs. Et puis, je n’aime pas l’interdiction en soi, mais elle est nécessaire. Bon… Dès que je trouve un truc un peu subversif, je vous le dis!
Propos recueillis par Lauriane Gepner
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