Ce film d’Audrey Estrougo aborde frontalement la question du viol et du tabou qui l’entoure. Porté par son interprète principale, Marie Denarnaud, il offre un témoignage puissant parce que pas mélo sur le vécu d’une telle agression. Pourquoi il faut vite aller le voir.
1- Parce que le casting est super
On ne connaissait pas Marie Denarnaud (déjà repérée par Mélanie Laurent qui l’a fait jouer dans Les Adoptés) et c’est une vraie découverte. L’actrice principale, qui interprète Nathalie, une jeune infirmière violée par un collègue de travail, porte littéralement le film puisqu’on la suit presque à chaque plan et qu’on partage son intimité du début à la fin.
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À ses côtés, Oumar Diaw est assez convaincant dans le rôle du petit ami dépassé par la situation. Quant à Marie-Sohna Condé, qui joue sa meilleure amie, on a tout simplement envie qu’elle soit la nôtre, de meilleure amie. Quand on sait que le budget du film, tourné en trois semaines, n’a pas dépassé les 8000 euros et que tout le monde était bénévole, on salue encore plus leurs prestations respectives, ainsi que la démarche de la réalisatrice Audrey Estrougo.
“Ce film est né parce que je refuse d’abdiquer et que rien ne pourra m’empêcher de faire et défendre mon cinéma.”
À 29 ans, la jeune femme a notamment signé Toi, moi et les autres mais revendique un cinéma engagé et un goût pour les films qui bousculent. Quitte à passer par des circuits non conventionnels et réunir les fameux 8000 euros grâce à une cagnotte sur Internet. “Ce film est né parce que je refuse d’abdiquer et que rien ne pourra m’empêcher de faire et de défendre mon cinéma. Celui qui s’affranchit des contraintes économico-commerciales et qui veut partager une véritable conscience avec les téléspectateurs, pas uniquement les distraire”, commente-t-elle dans le dossier de presse du film.
2– Parce que le ton est juste
Le sujet du viol reste un tabou en France et c’est justement pour ça qu’Audrey Estrougo a voulu en montrer les facettes les plus mystérieuses voire incompréhensibles. La difficulté de porter plainte, le malaise de l’entourage, l’obsession de la propreté, les liens entre l’agresseur et sa victime. Comme 80 % des femmes violées, Nathalie connaît le violeur, et comme la majorité d’entre elles, elle est confrontée à la suspicion de ses interlocuteurs, notamment de la police, au moment où elle se décide à témoigner. La scène du dépôt de plainte illustre parfaitement la tendance inconsciente mais bien réelle à culpabiliser une femme violée et insinuer qu’elle l’a bien cherché.
On estime à 75 000 le nombre de viols chaque année en France. Environ 10% d’entre eux débouchent sur une plainte et 3% sur un procès.
Et si le spectateur accompagne Nathalie tout au long de son calvaire, il entrevoit aussi un possible “après” à son agression. C’est l’une des forces du film: raconter sans dramatiser, d’une façon clinique. Ce parti pris nous plonge dans la réalité du viol, dont Nathalie rappelle qu’“il n’y a rien à comprendre. Ça arrive. Et même souvent, il paraît”. En effet, on estime à 75000 le nombre de viols chaque année en France. Environ 10% d’entre eux débouchent sur une plainte et 3% sur un procès. La réalisatrice explique qu’elle a voulu “taper une gueulante, mais avant tout en tant que femme et avec un regard féminin […] pour ce faire, j’ai décidé de traiter mon sujet de manière frontale avec sans cesse ce questionnement féminin”.
3- Parce que cette fille, c’est nous
Infirmière, trentenaire, parisienne, amoureuse: Nathalie nous ressemble. Elle prend le métro et va boire des coups avec ses copines, est radieuse quand elle est heureuse, marquée quand elle ne l’est pas. Une fille jolie sans l’être trop, une fille normale à défaut d’être banale. Face à elle, son agresseur est, lui aussi, très lambda avec sa tête de gendre idéal, insoupçonnable d’une telle violence. Comme souvent, dans les affaires de viol.
Impossible de ne pas s’identifier à l’héroïne quand elle se fait emmerder dans la rue, et c’est d’ailleurs l’aspect le plus oppressant du film. Avant le viol, Nathalie ne prête pas attention aux importuns du métro. Après, elle voit en chacun d’entre eux un prédateur potentiel, et nous aussi. Tout à coup, l’espace public devient un terrain de chasse où les femmes sont en permanence vulnérables, une réalité malheureusement très tangible pour ces dernières, qui savent que l’agressée pourrait très bien être elles. C’est ce mince fil entre la peur et la parano, ainsi que la reconquête de la confiance, qu’Audrey Estrougo filme de façon réussie, en nous laissant entrevoir une issue pour sa protagoniste dont le combat est de se réconcilier avec son corps abîmé. Sans filtre et sans prétention, le film est à l’image de son propos: simple. Et si cette histoire nous touche, c’est effectivement parce qu’elle est terriblement banale.
Myriam Levain
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