Les concours d’éloquence ne sont plus réservés aux universités prestigieuses. Depuis le 1er mars, la coopérative Indigo organise la deuxième édition de son concours Eloquentia à la fac de Saint-Denis. Comme l’année dernière, de nombreux talents s’y révèlent, et Cheek a assisté au quart de finale. Reportage.
“Je suis très stressée depuis ce matin, j’imagine la salle remplie, j’ai peur de bafouiller, d’oublier mon texte, j’ai peur de plein de choses.” Maïmouna Haïdara, 24 ans, est étudiante en master 2 de droit comparé de la famille à l’université Paris-8 à Saint-Denis. Le 2 avril dernier, quand nous la rencontrons, elle fait partie des rares candidates féminines qualifiées pour le quart de finale d’Eloquentia, le premier concours d’éloquence organisé en Seine-Saint-Denis, et s’apprête à prendre la parole devant un amphi rempli d’étudiants.
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Une formation à l’expression publique
Beaucoup d’élèves sont là pour soutenir leurs camarades et la mascotte de l’école, déguisée en renard, fait le show avant l’heure. Nombreux sont les jeunes qui courent à droite et à gauche pour mener à bien ce projet. D’autres, amassés devant l’amphithéâtre, attendent avec impatience l’ouverture des portes. La solidarité entre les élèves est frappante. On pourrait presque croire que ce sont eux les seuls organisateurs de ce projet. Gilles Henri, ancien candidat et désormais secrétaire général et trésorier de l’association Eloquentia, fait partie de ces piliers: “Quand le concours s’est lancé, on s’est retrouvés embarqués dans l’aventure; on ne pouvait pas faire autrement que de s’investir.”
La coopérative Indigo a fait le pari de lancer ce type de concours en banlieue sous le nom d’Eloquentia.
Lorsqu’on on parle de tournoi d’éloquence, on pense généralement aux facs et écoles de commerce prestigieuses où des élèves font une démonstration intellectuelle pour séduire un jury composé d’élites du métier. L’an dernier, la coopérative Indigo, initiatrice du projet, a fait le pari de lancer ce type de concours en banlieue sous le nom d’Eloquentia. En plus d’y donner accès, la coopérative Indigo propose une formation à l’expression publique sur tout le semestre. Les élèves sont formés à la rhétorique classique, reçoivent des cours de théâtre et de stand-up, ainsi qu’à une préparation aux entretiens d’embauche où ils apprennent à rédiger des CV, lettres de motivation et simulent des entretiens. À l’issue de cette formation, des stages leur sont proposés par des partenaires de la coopérative.
“On a des atouts, on n’est pas comme les médias nous décrivent, à savoir des jeunes en perdition qui sont là pour brûler des voitures.”
Une initiative qui a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les élèves. “Je pense que c’est une très bonne chose d’instaurer ce genre de concours dans le 93, explique Maïmouna Haïdara. Ça me fait plaisir de voir qu’ils mettent en place pour nous un dispositif d’habitude réservé aux facs privées. Ça permet de montrer que, nous aussi, on est capables de faire des choses. On a des atouts, on n’est pas comme les médias nous décrivent, à savoir des jeunes en perdition qui sont là pour brûler des voitures. Il y a plein de personnes intelligentes ici, des personnes qui veulent réussir et qui ont de l’ambition. Eloquentia et la coopérative Indigo vont permettre de montrer ça à l’Île-de-France entière.”
Avant d’entamer son master, Maïmouna étudiait à Paris 1 où elle avait déjà tenté sa chance à un concours de plaidoirie. Avant de revenir dans le 93 retrouver “une ambiance cool et relax où les gens sont sympas et ouverts”. Séduite par la formation à l’expression publique proposée par Indigo, elle a décidé de tenter sa chance. Consciente que ce concours va lui ouvrir énormément de portes pour son futur métier, vêtue de son blaser rouge pétant, elle est prête à entrer dans l’arène.
Un vrai show
Le quart de finale débute dans un grand amphi plein à craquer et les huit candidats qui ont remporté les étapes précédentes sont aujourd’hui prêts à s’affronter. Les deux premiers se lancent, ils sont face au jury sous les projecteurs et on comprend directement qu’on va avoir affaire à un véritable show. Composé de deux avocats, Isabelle Chataignier et Julien Fresnault, du directeur de recrutement de L’Oréal, Cédric Voix, et du comédien Yacine Belhousse, le jury est présidé par l’acteur Nader Boussandel, qu’on a vu dans La Marche cet hiver.
Les candidats s’expriment avec une telle aisance que toute l’assemblée est transportée.
Le public est bouillant et crie le nom des étudiants pour les encourager. Les discours sont tous aussi impressionnants les uns que les autres, les candidats s’expriment avec une telle aisance que toute l’assemblée est transportée. Certains utilisent l’humour pour séduire le public, d’autres font référence à leur histoire personnelle. Il se dégage une chaleur humaine, une ambiance conviviale à laquelle on ne s’attendait pas dans ce type de concours, traditionnellement plus formatés. À la fin des prestations, les élèves reçoivent les critiques du jury et le verdict tombe. “Vous avez travaillé et ça se voit. Vous avez atteint un niveau bien au dessus du lot”, conclut Nader Boussandel. Ce soir-là, Maïmouna Haïdara a été sélectionnée pour la demi-finale, qu’elle a remportée la semaine suivante. Rendez-vous le soir de la finale, le 23 avril prochain, pour savoir si le nouveau talent oratoire de Saint-Denis, c’est elle.
Lara Sini
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