Dans son troisième long-métrage, le réalisateur se penche sur une génération biberonnée aux réseaux sociaux et au porno accessible en streaming.
Après Sheitan et Dog Pound, Kim Chapiron clôt sa trilogie adolescente en nous plongeant dans les coulisses d’une business school réputée qui voit trois élèves mixer lois du marché et proxénétisme étudiant. Au-delà du folklore (très cinématographique) de ce microcosme rarement filmé, le réalisateur trentenaire s’intéresse aux rapports amoureux d’une génération biberonnée aux réseaux sociaux et au porno accessible en streaming. Il révèle au passage un sacré trio de jeunes talents, Alice Isaaz en tête. Rencontre.
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La Génération Y
“Ma première idée avec ce film était de parler du discours amoureux de la jeunesse d’aujourd’hui, qui a banalisé le divorce et la sexualité: celle que l’on appelle la génération Y. Comment tombe-t-on amoureux aujourd’hui, quels sont les repères et les techniques, quelles questions se pose-t-on? Je fais un peu partie de cette génération: même si j’ai connu un monde sans téléphones portables, dans lequel on regardait des VHS, j’ai totalement embrassé les nouvelles technologies et les nouveaux rapports humains. Je suis un métis génération X / génération Y! Et puis, les soucis adolescents sont souvent liés à l’amitié, un sujet qui me touche beaucoup: j’ai tout le temps évolué en bande. Du coup, quand Noé Debré et Benjamin Elalouf (Ndlr: respectivement coscénariste et producteur du film) sont venus me présenter leur projet, j’ai eu l’impression que j’aurais pu l’initier: il réunissait tous les ingrédients qui m’inspirent. C’était aussi une jolie façon de clore une trilogie. Car dans mon prochain film, j’arrête de parler des mecs de 20 ans!”
Les écoles de commerce
“C’est un décor pratique: j’enferme mes personnages dans un lieu clos qui a ses propres rituels, son propre langage, et un folklore ultra puissant. Le spectateur, une fois plongé dans cet univers, est forcé de déconnecter de son monde: cela accélère l’immersion. Avant d’attaquer la préparation du film, je n’avais des écoles de commerce que l’image qu’en donnent les documentaires télévisés, souvent racoleurs et synonymes de clichés. Nous n’avions pas du tout envie de ça au cinéma, ce qui explique que le film ne parle pas du bizutage, des piscines de vomi ou des humiliations terribles qui sont liées à une forme de décompression. En revanche, ces élèves très précoces dans leur maîtrise des mots et des mécanismes d’analyse créent forcément des personnages colorés et spectaculaires. Je me rappelle avoir rencontré un élève qui m’avait confié que l’unique question qu’il s’était posé jusque-là, c’était de savoir comment il allait intégrer HEC.”
La musique
“Raphaël Hamburger a assuré la supervision musicale du film: ce qu’écoute un personnage contribue à le raconter. Dan, par exemple, partage les références de ses parents, d’où les morceaux de Michel Berger, Michel Fugain ou Rachid Taha. Pour le reste, nous avons choisi des marqueurs de la génération Y, comme Justice ou Brodinski, et quelques clins d’œil à la génération précédente: Technotronic ou le morceau de ma petite sœur Mai Lan, Les Huîtres. Le score a été composé par Ibrahim Maalouf, musicien et cinéphile avec lequel je voulais collaborer depuis longtemps. Nous travaillons en ce moment sur la musique de mon prochain film en pratiquant l’exercice inverse: écrire la musique à l’étape du scénario. C’est un vrai luxe.”
“Nous nous sommes enfermés pendant une semaine dans un hôtel particulier du Marais, avec 250 figurants qui venaient vraiment d’écoles de commerce, et nous avons eu l’autorisation de la production de boire de l’alcool.”
Les scènes de fête
“Le réalisme de ces scènes vient tout simplement du fait que nous avons organisé de vraies soirées! Nous nous sommes enfermés pendant une semaine dans un hôtel particulier du Marais, avec 250 figurants qui venaient vraiment d’écoles de commerce, et nous avons eu l’autorisation de la production de boire de l’alcool. Ce qui complique l’exercice pour les acteurs, c’est de devoir jouer la comédie sans musique pour que je puisse entendre les dialogues: tout le monde doit faire semblant de donner de la voix. Mais c’est un régal à mettre en scène, d’autant que mon collègue et “partner in crime”, Romain Gavras, est venu m’aider. Tout comme la scène d’émeute dans Dog Pound, cette semaine reste un grand souvenir de tournage.”
Questions morales
“Nos personnages ne se posent la question de la morale qu’une seule fois dans le film, et encore, parce qu’on s’est senti obligés de le faire. Mais le bien et le mal n’ont rien à faire dans cette histoire. André Comte-Sponville a écrit un essai, Le Capitalisme est-il moral?, dans lequel il développe une théorie selon laquelle le bien et le mal n’ont rien à faire avec la dynamique de l’offre et la demande. Le capitalisme n’est ni moral, ni immoral: il est amoral. Ce qu’il y a de formidable avec un personnage d’adolescent, c’est que sa naïveté et son apprentissage autorisent à la fois la tendresse et le machiavélisme.”
Casting
“J’ai toujours la même démarche: plus que le jeu, je privilégie le petit moment de vie que je partage avec un acteur. En amont, un travail énorme a été fait par la directrice de casting Gigi Akoka: c’est déjà elle qui avait trouvé Roxane Mesquida, Leïla Bekhti et Marie-Julie Parmentier à l’époque de Sheitan. Et c’est Vincent Cassel qui me l’avait présentée: elle les avait réunis avec Monica Bellucci sur L’Appartement. Je trouve que juger un acteur sur une unique prestation, c’est se priver de ce qui marque le plus sa personnalité. Après un essai classique, je rencontre toujours un comédien et je lui demande de me raconter un souvenir ou une histoire qui se rapproche du sujet du film, j’ai une vraie discussion avec lui: c’est souvent là que ça se passe.”
Le film de campus
“Il y avait un petit défi à pratiquer un genre typiquement américain. La référence ultime, c’est The Social Network, un excellent campus movie.”
Propos recueillis par Mathilde Lorit
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