Deuxième saison de Treme, dans La Nouvelle-Orléans post-Katrina. Une ode musicale à une culture en danger, par le créateur de The Wire.
Evacuons d’emblée la question encombrante. Non, Treme (prononcer treumé) n’a pas la puissance incontestable de son aînée The Wire, qui partage avec elle son co-créateur, David Simon, devenu le messie des sériephiles après ce chef-d’oeuvre romanesque et social. On retrouve des aspects communs aux deux séries, comme une volonté de circonscrire par la fiction une ville et ses différentes lignes de force, en prenant tout le temps nécessaire. Mais le point de vue est légèrement différent.
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Ne serait-ce que par son choix de ne convoquer aucun personnage principal hors la loi, Treme montre un respect sans équivoque pour ses héros, certaine qu’ils ont raison et doivent être protégés à tout prix. Voilà une série qui a le sentiment de remplir une mission : témoigner de l’ampleur du désastre politique, économique et humain ayant suivi le passage de l’ouragan Katrina sur La Nouvelle-Orléans, en 2005. Et partant, pointer la déliquescence funeste du modèle américain.
Un désir louable mais lisible, qui l’empêche peut-être de produire la même fascination et le même mystère. Ici, vampires et bandits rôdent à la périphérie du récit. Les méchants naviguent hors champ, l’ambiguïté est moins palpable. Simon préfère s’intéresser à une poignée d’hommes et de femmes qui subissent ou relèvent les traces de la catastrophe. Il veut prouver que cette catastrophe n’était pas si « naturelle » que cela, mais le résultat de l’abandon par le pouvoir fédéral d’une ville aux traditions singulières.
Très dure, la deuxième saison, située quatorze mois après l’ouragan, confirme le mouvement de la première en l’approfondissant. Treme est une série sur l’après, ce moment où le deuil affronte la nécessité de reconstruire. Son sujet profond, politique, c’est l’angoisse de la disparition d’une culture et finalement de la disparition du peuple.
La seule solution immédiate ? Jouer de la musique. Grâce aux nombreux personnages de musiciens, les fanfares, groupes de jazz et performers hip-hop (toujours recrutés dans le très riche vivier local) structurent les épisodes. Un morceau commence dans une scène et se poursuit dans une autre, quand un personnage l’écoute à la radio ou le fredonne dans son coin. La musique devient la chair du récit, seule capable de créer du lien dans un pays dévasté. La sensation de la musique jouée en direct est si rare dans une série (ou même au cinéma) qu’elle emporte tout sur son passage.
Treme installe un rythme lancinant et majestueux, atteignant l’essence de son projet sans tomber dans le piège nostalgique. Avec une vraie subtilité, la série pose la question de ce qui est moderne et de ce qui ne l’est pas. Peuton jouer la même musique cinquante ou soixante-dix ans après, sous prétexte qu’elle appartient à une tradition ? Comment rendre vivant ce qui menace de pourrir à vue d’oeil ?
Une autre vague narrative prend sa source en profondeur. C’est la façon presque invisible dont La Nouvelle-Orléans renaît de ses cendres après que des centaines de milliers de personnes ont été déplacées. Démolition, puis reconstruction : un nouveau rythme s’installe en parallèle à celui de la musique. Pelleteuses et perceuses y ont le premier rôle. Un beau personnage d’entrepreneur prend de l’ampleur au fil de la saison, mais peu de choses avancent. Certaines reculent même, c’est la loi des récits honnêtes. David Simon aimerait faire une série optimiste et rageuse mais il ne peut pas. Il voudrait montrer le bonheur d’une communauté qui se réinvente mais il ne peut filmer que sa douleur. Au bout du compte, les enterrements sont plus nombreux que les éclats de rire, et ils nous serrent le coeur. On ne laissera pas tomber Treme.
Olivier Joyard
Treme, saison 2. A partir du 10 septembre à 20 h 40 sur Orange Cinenovo.
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