Son album attendu depuis de longues années vient de sortir en Europe. On a rencontré Sky Ferreira à Paris et on lui a demandé de commenter certaines photos de son Instagram.
Depuis qu’elle s’est fait arrêter en septembre 2013 avec son petit ami pour possession de drogues (elle de l’ecstasy, lui de l’héroïne), Sky Ferreira a fait couler beaucoup d’encre. Et il faut être honnête, entre son goût de l’esthétique “mauvaise mine”, ses concerts léthargiques et son comportement borderline en interview –cette journaliste de Next en a fait les frais-, l’Américaine de 21 ans n’a jusqu’ici jamais cherché la rédemption.
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Bien sûr, l’envie d’imputer cette attitude à une tentative désespérée d’attirer l’attention est grande. Mais il suffit de regarder deux secondes le parcours de Sky Ferreira pour balayer l’hypothèse. D’une part, parce que depuis ses 15 ans, la jeune femme n’a pas besoin de tels stratagèmes pour capter la lumière: mannequin, actrice, musicienne signée très tôt sur la major Capitol, elle s’est très vite fait une place au soleil. Et peu importe qu’elle ait mis cinq ans à sortir son album: ceux qui la suivaient l’ont attendue, avec une patience rare en cette époque de zapping généralisé.
Pendant notre interview, dans une salle de conférence d’un hôtel du 9ème arrondissement, elle est visiblement mal à l’aise et ne fait rien pour le cacher.
Mais si sa photogénie et son charisme l’ont sauvée des oubliettes médiatiques jusqu’à un certain point, c’est à son art seul qu’elle doit aujourd’hui notre intérêt. Sorti aux États-Unis à l’automne et disponible en Europe depuis hier, son premier album est une proposition réussie de cohabitation entre des genres et des époques variés -le grunge des 90’s, la pop Top 50 des 80’s, le rock érudit des années 2000 (coucou les Strokes), etc. D’un pessimisme rare chez les jeunes poppeuses américaines d’aujourd’hui, ce Night Time, My Time va à l’encontre de tout ce que le mainstream produit actuellement: il sent la lose, le mal-être et respire l’honnêteté, dans sa noirceur autant que dans ses (rares) moments d’euphorie.
Dans la vraie vie, non plus, Sky Ferreira ne triche pas des masses. Pendant notre interview, dans une salle de conférence d’un hôtel du 9ème arrondissement, elle est visiblement mal à l’aise et ne fait rien pour le cacher. Elle passe le plus clair de son temps à regarder par la fenêtre -des marmottes qui fabriquent du chocolat dans l’immeuble d’en face, peut-être?- plutôt que dans nos yeux, agite sa jambe nerveusement, ne quitte pas son bonnet ni sa parka oversize. Pourtant, quand on lui parle de sujets sensibles -comme de Michael Jackson, dont sa grand-mère, qui l’a élevée, était la coiffeuse-, elle ne cherche pas à se défiler et tente de nous livrer un souvenir le plus sincère possible de celui qu’elle a bien connu.
Histoire de ne pas ruiner cette ambiance précaire, on évitera de notre propre gré les questions trop (in)délicates.
Quand elle en a marre de mater les marmottes, elle nous adresse même deux ou trois coups d’œil d’une douceur surprenante et se laisse aller à quelques pointes d’humour. Histoire de ne pas ruiner cette ambiance précaire, on évitera de notre propre gré les questions trop (in)délicates, comme son arrestation ou les abus sexuels qu’elle a subis étant plus jeune (pour ceux qui lisent l’anglais, un excellent article du Guardian aborde ces thèmes). Après tout, rien qu’en commentant quelques-unes de ses photos Instagram, Sky Ferreira a déjà pas mal de choses à raconter.
Pochette de Night Time, My Time (posté le 09/10/2013)
Pourquoi avoir choisi Gaspar Noé pour réaliser la pochette de Night Time, My Time?
Je suis fan de son travail et c’est un ami. Je me sens à l’aise avec lui et je lui fais confiance. Ce cliché a été pris pendant que j’étais en train d’enregistrer l’album, ce qui se voit à ma tête. (Sourire). On a loué une chambre d’hôtel et on a shooté un tas de photos, sans savoir forcément que l’une d’entre elles deviendrait la pochette de l’album. Et puis, quand je l’ai visualisée en version vinyle, je me suis dit que ce serait très cool, cette grande photo sans texte (Ndlr: Sky a posté la pochette ci-dessus dans une version coupée pour éviter la censure d’Instagram. Ses seins apparaissent sur la version originale).
J’ai lu que tu as aussi choisi sciemment de ne pas apparaître juste comme une jolie fille…
C’est vrai. Être belle, c’était ce qu’on attendait de moi. Non pas que je cherche absolument à faire le contraire, mais cet album n’est pas un album joli. Ce n’est pas un beau bijou étincelant, c’est un diamant brut. Je voulais donc être sûre que le visuel ne mette pas les gens sur la mauvaise voie.
Avec Miley Cyrus (posté le 10/03/2014)
Tu tournes en ce moment en première partie de Miley Cyrus. Comment t’es-tu retrouvée là?
On a commencé à parler sur Twitter et elle aimait sincèrement mon album, alors elle m’a demandé si je voulais partir en tournée avec elle. On a certains amis en commun et on s’est tout de suite super bien entendues. Il faut dire que c’est assez facile de devenir ami avec elle, car elle est très sociable, contrairement à moi. Et ça n’a rien d’hypocrite, ce n’est pas ce genre de star qui fait semblant de s’intéresser aux gens histoire de jouer les filles cool; c’est une vraie gentille.
Comme toi, elle a fini par devenir totalement l’inverse de ce qu’on attendait d’elle. Et elle a acquis une vraie liberté grâce à ça…
C’est vrai, c’est aussi ça qui est intéressant avec elle. Je ne sais pas à quel point vous êtes familiers de Hannah Montana en France, mais aux États-Unis, c’était absolument énorme, il n’y a même pas de mot pour décrire l’ampleur de la chose. Chez n’importe quel épicier du coin, il y avait un rayon Hannah Montana, c’était un truc de fou, un vrai phénomène. Qu’elle ait réussi à se sortir de ça, c’était inespéré. Ça prouve une chose: être soi-même, ça finit par payer.
Kurt Cobain (posté le 20/02/2014)
Le 20 février, date anniversaire de la naissance de Kurt Cobain, tu as posté plusieurs photos de lui. Pourquoi cet hommage?
C’est une grosse influence pour moi, même si je ne suis pas sûre que ça s’entende tant que ça dans ma musique. En fait, j’écoutais davantage Hole quand j’étais adolescente, et je pense qu’on le retrouve plus dans mon album. Live Through This était un de mes disques préférés. En tout cas, Kurt Cobain représente quelque chose d’un peu indescriptible, que personne d’autre n’incarne. Il est le dernier à pouvoir rivaliser avec un David Bowie ou un Mick Jagger, aussi bien en termes de talent que de charisme. Et pourtant, sa carrière a été vraiment courte. Il est mort si jeune.
Et Courtney Love, elle fait toujours partie de tes idoles?
Oui, elle est toujours aussi cool. Qu’importe ce que les gens disent à son sujet, avec son groupe elle a réussi à me toucher profondément, à me faire ressentir quelque chose pendant les pires années de ma vie. C’est à ça que je reconnais la bonne musique. Et puis au niveau look, elle était géniale aussi.
Avec Madonna (posté le 07/05/2013)
Madonna fait aussi partie de tes influences revendiquées. Tu penses qu’en 2014, c’est toujours la reine de la pop?
Je crois que quand une personne a atteint un tel niveau, son statut ne peut plus être remis en cause. Et j’ai l’impression qu’aujourd’hui encore, toutes les filles qui font de la pop aspirent à être Madonna.
Toi y compris?
Oui, bien sûr! Elle a tellement confiance en elle… Sans elle, les filles ne pourraient pas faire le quart de ce qu’elles font dans la pop.
Cette photo est assez drôle, notamment à cause du mec en arrière-plan…
Tu sais qui c’est? Frank Ocean! C’est du photobombing dans les règles de l’art. Au début, je me suis demandé qui était ce fan qui se tapait l’incruste sur ma photo… Non, je plaisante. (Rires.)
Est-ce que tu as un côté fan, toi, justement?
Oui, ça m’arrive. Avec Madonna ce jour-là, j’étais vraiment impressionnée par exemple. Normalement, je me retiens de demander des photos. Mais là, j’ai pris mon courage à deux mains car je ne savais pas si j’allais la recroiser un jour. C’est l’une des seules avec qui j’ai fait ça, les deux autres étant Stevie Nicks et Debbie Harry. Mais même si je cache bien mon jeu, il m’arrive assez souvent d’être en admiration au fond de moi, parfois avec des gens complètement inattendus. Je suis allée par exemple à la fête organisée par Vanity Fair pour les Oscars, et il y avait tous ces gens avec leur statuette, comme Matthew McConaughey. J’étais assez scotchée. J’ai fait mon coming out de fan avec Bill Murray et je suis restée pétrifiée quand Larry David est passé devant moi.
Michael Jackson (posté le 25 septembre 2013)
Tu postes souvent des photos de Michael Jackson. Son souvenir est-il encore très présent?
Comment je pourrais décrire ça… (Elle marque une pause). Il nous a beaucoup aidées, ma famille et moi, quand j’étais plus jeune. Je crois que, jusqu’à récemment, je n’avais jamais vraiment fait le deuil. Sa mort me semblait trop irréelle. J’étais à Londres avec ma maman quand c’est arrivé. On a d’abord cru à une simple rumeur de plus: tant de choses fausses ont été dites à son sujet! J’étais profondément connectée à lui. Quand j’étais petite, je fêtais tous mes anniversaires à Neverland –ce qui pour moi n’apparaissait pas vraiment comme des anniversaires parce que je n’avais pas d’amis. (Rires.)
J’étais une enfant super bizarre et les gens ne savaient pas trop comment réagir -je ne parlais pas et je passais mon temps à rêvasser et à me promener toute seule. Tous les autres enfants étaient ensemble dans la salle de jeux vidéos et moi j’allais dans cette espèce de champ au milieu duquel il y avait un trampoline construit dans le sol et une fontaine. Je m’asseyais sur le rebord de la fontaine et restais assise là pendant trois heures à regarder les éléphants du zoo. Michael Jackson a été l’une des rares personnes à ne pas pointer du doigt mon étrangeté.
Dans l’avion (posté le 01/11/2013)
Tu postes beaucoup de photos de toi blessée ou malade. Une manière de rendre ton storytelling encore un peu plus dramatique?
Non, c’est plutôt pour montrer aux gens que je ne mens pas. Ce jour-là, j’avais perdu ma voix et j’ai dû porter ce masque pendant tout le vol pour ne pas que mes cordes vocales s’assèchent. Certaines personnes essaient d’associer mes comportements à autre chose, ou interprètent mes absences comme de la fainéantise. En gros, je me sens un peu obligée de faire ça pour faire taire les rumeurs. Et puis je l’avoue, j’ai toujours eu une attirance pour les bleus et les blessures. Ces photos traduisent ma fascination pour le sang et les contusions. (Rires.)
La Vie d’Adèle (posté le 24/12/2013)
Tu postes peu de photos de films, mais tu as posté celle-ci, tirée de La Vie d’Adèle. Pourquoi?
Je crois bien que c’est mon film préféré de l’année dernière, même s’il est très triste. Les deux actrices sont tellement incroyables dedans. Je suis une grande fan de cinéma. Ma musique est très inspirée par le 7ème art.
Tu as aussi joué dans quelques films, c’est une expérience que tu aimerais réitérer?
Oui, beaucoup. J’attends juste le bon projet et puis c’est un peu compliqué au niveau du timing. J’aime consacrer du temps aux choses que j’entreprends. Pour Putty Hill, j’ai vécu et respiré dans la peau de mon personnage pendant trois mois pour me préparer. Quand je fais quelque chose, je le fais à 200%. Je mets tout ce que j’ai dedans. J’ai tourné un court-métrage avec Grant Singer et je me suis donnée à fond pendant deux semaines: à la fin du tournage, je suis tombée malade, tellement le personnage que j’interprétais était fou et malsain.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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