Elle est l’héroïne d’un documentaire qui la suit de Paris à Vladivostok, seule à moto. Mélusine Mallender se définit comme une aventurière toujours en quête d’un pourquoi, qu’elle part chercher sur deux roues, si possible très loin de chez elle. Portrait.
Après avoir regardé le premier épisode de ses aventures à moto en Asie centrale, on s’imaginait bêtement que Mélusine Mallender allait débarquer à notre rendez-vous en jean informe, gros blouson et bottes de moto. Mais si c’est bien d’une Honda qu’elle descend, Mélusine Mallender n’a rien à voir avec le cliché de la motarde tirant sur la camionneuse. Avec son jean slim et ses bottes à talon, son perfecto et son sac à main, la jeune femme de 33 ans a tout de la Parisienne du Xème arrondissement, quartier dans lequel nous nous retrouvons pour l’interview et la séance photo.
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Rien d’étonnant en fait, puisque, lorsqu’elle ne part pas seule au bout du monde sur deux roues, Mélusine Mallender travaille comme costumière dans le monde du théâtre à Paris. Et arpente le bitume parisien en Crossrunner 800. Née de deux parents motards, elle a passé son permis moto dès qu’elle a été en âge de conduire et s’est offert une 125 avec ses premières économies, à l’âge de 20 ans.
L’électrochoc du voyage
Le jour où on la rencontre, elle n’est plus qu’à quelques jours de son départ pour l’Afrique où elle restera quatre mois, de l’Éthiopie au Burundi en passant entre autres par l’Ouganda et la Tanzanie. Cette expédition motorisée et filmée, baptisée “Grands Lacs d’Afrique 2014”, explorera la notion de liberté et sera relayée sur son blog avant d’être diffusée à la télé. Comment se sent-on avant une telle échéance? “Je ne m’habitue pas à cette sensation, juste avant le départ. J’ai le trac, je me demande si j’aurai tout anticipé, et je sais que la réponse est non. Une fois que tu es partie, tu es partie, tu fais avec ce que tu as. Mais avant, tu te demandes toujours ce qui te manque.”
© Capucine Bailly / Cheek Magazine
Parmi les mille choses qu’elle emporte dans ses sacoches, se trouvent des fiches qui lui permettront de baragouiner les langues de chaque région qu’elle va traverser. On n’y aurait pas pensé, mais l’outil est indispensable pour communiquer un minimum avec les personnes qu’elle croise sur sa route, le plus souvent dans des coins très reculés.
“Quand je voyage, je cherche à comprendre pourquoi certaines personnes font certaines choses, pourquoi elles font certains choix, pourquoi elles portent certains vêtements.”
L’Afrique, c’est justement là où Mélusine Mallender a pris la première bifurcation vers le voyage après une enfance et une adolescence passées dans les Landes, près de la mer. L’été de ses 18 ans, elle part un peu au hasard passer un mois et demi au Togo, dans le cadre d’une mission humanitaire. “Un électrochoc, résume-t-elle. Je donnais des cours d’anglais dans des endroits où il n’y avait rien, en plein milieu de la brousse. À l’époque, il n’y avait ni portable, ni Internet, j’étais loin de tout et pas préparée à voir des enfants se battre pour une feuille de papier. Mais ce voyage a été fantastique.”
Le retour l’est un peu moins pour la jeune fille, qui a commencé des études de mode à Paris à Esmod. “Le contraste était violent mais j’ai tenu, et j’ai terminé mon cursus au bout de trois ans, ce qui m’a permis de devenir costumière.” Si Mélusine Mallender assure qu’il y a une continuité entre son job et ses escapades, elle n’est pas évidente au premier abord. Elle s’explique: “Après mon bac, j’avais envie de faire quelque chose de concret et d’artistique, et j’ai donc choisi la mode. Quand tu crées un costume de scène, tu te demandes toujours pour qui tu le fais, tu sais qu’il est destiné à quelqu’un portant l’histoire d’une autre personne. Eh bien quand je voyage c’est pareil, je cherche à comprendre pourquoi certaines personnes font certaines choses, pourquoi elles font certains choix, pourquoi elles portent certains vêtements. Les vêtements racontent l’histoire des gens.”
Amoureuse d’un explorateur
Devenue intermittente du spectacle, Mélusine a moins le temps de rêver au grand départ. Elle continue de “backpacker” en Thaïlande, en Inde. Mais le voyage n’est pas encore au centre de sa vie. C’est une rencontre qui lui fera prendre définitivement la tangente. “Mon conjoint est explorateur, c’était à prendre ou à laisser quand on s’est connus.” Attention à ne pas confondre aventurière, comme elle, et explorateur, comme lui. “Explorateur, ça veut dire qu’il va dans des lieux où personne n’est jamais allé et qui sont difficiles d’accès, pour en rapporter des images et des études scientifiques. Il y a encore pas mal de zones inconnues, souterraines ou sous-marines par exemple.” Après quelques mois de négociations, Mélusine réussit à l’accompagner en 2009 en Patagonie. Six mois de voyage, dont deux à pied et trois en kayak: “le vrai exploit, c’est qu’on est revenus en étant toujours ensemble”, rit-elle.
“Il me faut quelqu’un qui soit assez confiant pour penser que je vais rentrer et surtout quelqu’un qui m’aime libre.”
Là, Mélusine Mallender réalise qu’elle veut reprendre la route, et seule. Habituée aux contrats courts indissociables de l’intermittence, elle décide en 2010 de profiter d’une pause pour organiser un voyage d’adieu à sa chère Varadero 125 en fin de vie. C’est ce périple qui constitue le premier épisode de la série Ne te dégonfle pas, diffusée les 20 et 27 mars prochains sur la chaîne Voyage. “Je n’ai pas voulu la vendre mais je savais qu’il fallait que je m’en sépare. Au total j’ai roulé 138000 kilomètres avec elle! J’ai donc entrepris cette expédition vers la Mongolie, en ne sachant pas jusqu’où elle tiendrait. C’était très émouvant pour moi de m’en séparer, j’ai fait tant de choses grâce à elle, je disais adieu à un moment de ma vie.” Elle dit au passage au revoir à son homme, qui lui manque quand elle est loin, mais qui respecte ses choix. “Il me faut quelqu’un qui soit assez confiant pour penser que je vais rentrer et surtout quelqu’un qui m’aime libre.”
Grâce à la caméra qu’elle a emportée avec elle, on suit de près ses péripéties à travers l’Europe et l’Asie centrale, via des plans-séquences, des interviews et des auto-interviews. On ne peut s’empêcher de penser à Antoine de Maximy, qui a popularisé le concept du voyage solitaire filmé, en essayant d’aller dormir chez l’habitant.
Mais Mélusine, elle, dort sous sa tente, quitte à devoir un jour gérer une tentative d’intrusion nocturne de quatre Kazakhs, qui pensent sincèrement qu’elle est disponible pour coucher avec eux. “Pour nous, ça paraît hallucinant, mais eux trouvaient ça tout à fait normal de tenter leur chance.” Après les avoir convaincus de laisser tomber, la jeune femme raconte sa mésaventure face caméra le lendemain matin. Elle en rit mais confie qu’elle ne referait plus la même erreur aujourd’hui. “Je cherche toujours une famille pas loin quand je veux camper seule. J’ai une part d’inconscience, mais j’apprends au fil de mes voyages.”
La route comme réponse
En effet, il y a une forme d’inconscience à partir seule à moto à l’autre bout du monde. Mais cette optique-là, Mélusine Mallender la juge très française, elle dont la mère est anglaise et qui a donc hérité d’une double culture. “En France, on vit dans une société anesthésiée dans le mouvement, regrette-t-elle. Avoir un CDI ou louer un appartement est déjà hyper compliqué, alors bouger comme je le fais…” Pourtant une fois sur place, elle assure être très bien accueillie. “Il y a clairement des moments où l’on m’a aidée parce que j’étais une femme seule. Et puis l’avantage d’être une fille, c’est que tu rentres dans d’autres sphères avec ta caméra.” Mélusine Mallender ne s’est jamais interdit quoi que ce soit parce qu’elle était de sexe féminin. Même si les femmes ne constituent que 20% de la population des motards, cela n’a jamais été un frein pour partir. “Je ne me suis jamais posé de questions sur ce qui était possible ou impossible. J’y vais et je me pose des questions ensuite.”
© Capucine Bailly / Cheek Magazine
Le questionnement est d’ailleurs le moteur de ses périples. Après l’Asie centrale en 2010, elle est partie d’Iran au Kirghizstan en 2011, ce qui constitue le deuxième épisode de la série. “Quand tu roules autant, tu finis par trouver des réponses à tes questions. Les choses se simplifient et tu retrouves ta place. Ta petite place. Et personnellement, ça me fait du bien.” N’y aurait-il pas une dimension spirituelle, voire religieuse dans sa démarche? “J’ai une certaine foi, je crois dans une force de la nature, des cercles d’énergie qui permettent certaines rencontres. Quand je voyage, je deviens plus alerte à ce qui se passe autour de moi.”
“Voyager te fait réaliser tous les avantages que tu as chez toi. Il y a aussi des faiblesses, il n’y a pas de monde parfait.”
La démarche est également indissociable d’une forme d’engagement qui pousse Mélusine à s’interroger sur la notion de liberté, notamment chez les femmes. “Voyager te fait réaliser tous les avantages que tu as chez toi. Il y a aussi des faiblesses, il n’y a pas de monde parfait. Mais on a un devoir par rapport à nos droits, c’est pour ça que je vote toujours, c’est une obligation citoyenne. Je trouve juste dommage que le vote blanc ne soit pas pris en compte pour l’instant.”
En attendant de rejoindre l’autoroute de la vie familiale -“Pour l’instant je vis ma vie d’individu, je vivrai ma vie de famille plus tard”-, Mélusine continue de traverser la vie sur deux roues en toute liberté. Et nous a fait promettre de lui envoyer le lien de ce papier, qu’elle lira quelque part au fin fond de l’Éthiopie.
Myriam Levain
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