Quelques semaines après avoir dévoilé prématurément son album Dirty Gold sur Internet, la rappeuse Angel Haze était de passage à Paris le temps d’un concert pour le lancement de la Stan Smith d’Adidas. On en a profité pour remonter avec elle sa timeline Facebook.
Elle est allongée sur le lit, la tête relevée par un gros oreiller. Penchée au dessus d’elle, une blonde souriante et relax la maquille. Alors qu’on prend place à son chevet, on ne sait pas vraiment si Angel Haze nous a calculée. À ce stade, entre deux touches de fard à paupières, elle reste absorbée par son écran de téléphone comme si on avait revêtu une cape d’invisibilité. Du coup, on se pose la question: Angel ou démon?
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En préparant cette interview, on a eu du mal à se faire une opinion. À 22 ans, Raykeea Angel Wilson s’est parfois montrée capable du pire -notamment au cours de son déjà légendaire clash virtuel avec Azealia Banks-, mais semble avoir aussi pas mal d’humour et de nobles sentiments à dispenser, comme en témoignent les nombreuses vidéos qu’elle poste à l’attention de ses fans.
Si elle déclarait encore récemment être toujours vierge, elle se revendique pansexuelle et prend régulièrement position en faveur de la communauté LGBT.
Élevée jusqu’à ses 15 ans dans une secte pentecôtiste, Wilson a été violée plusieurs fois de 7 à 10 ans, ce qu’elle le raconte en 2012 dans Cleaning Out My Closet, adaptation très personnelle d’un morceau d’Eminem où elle n’épargne à l’auditeur aucun détail (paroles ici, âmes sensibles s’abstenir). Si elle déclarait encore récemment être toujours vierge, elle se revendique pansexuelle et prend régulièrement position en faveur de la communauté LGBT.
Mais Angel Haze ne fait pas uniquement parler d’elle pour ses chansons cathartiques, son rejet farouche de la religion, ses idées progressistes ou son flow de killeuse, qui la range parmi les rappeuses les plus impressionnantes de sa génération. Ces derniers temps, elle a agité le Web pour une autre raison: peut-être inspirée par Beyoncé mais en prenant une option radicalement plus punk, Haze a balancé son premier album sur Internet le 18 décembre, alors qu’il était prévu pour mars.
Et quand on dit “balancé”, elle ne l’a pas mis en vente sur iTunes, elle. Lasse que son disque prenne la poussière en attendant de sortir, elle l’a tout simplement fait fuiter, gratuitement, en précédant cet acte de rébellion par un tweet adressé à sa maison de disques: “Sorry to Island/Republic, but fuck you.” Finalement édité dans la foulée et disponible très officiellement à la vente depuis le 30 décembre, Dirty Gold marque donc le véritable acte de naissance d’Angel Haze auprès du grand public. Alors qu’elle nous adresse enfin un franc sourire et propose qu’on positionne notre dictaphone sur son ventre -elle restera allongée pendant toute l’interview-, Haze nous signifie qu’elle est prête à remonter le temps avec nous.
Le 23 novembre 2009, lendemain de l’ouverture de ta page, tu écris: “Ces jours-ci je ne trouve pas le repos; partout où je me tourne il y a tant de stress; parfois je voudrais m’ouvrir la poitrine et creuser jusqu’à ressentir ma respiration.” Est-ce que ça va mieux?
(Rires.) En fait, ces paroles sont extraites d’un remix d’Eminem que j’ai fait à l’époque. C’est vrai que j’étais hyper stressée à ce moment-là, mais ça va beaucoup mieux, merci!
Le 9 novembre 2010, tu postes cette phrase: “Je m’en fous de ce que les gens disent, ce monde est à ma disposition. Je vais tirer le meilleur parti de cette vie avant qu’elle soit terminée… Vous devriez en faire autant.” As-tu toujours autant confiance en toi?
Non, uniquement quand j’y suis obligée. En temps normal, je suis plutôt super timide et mal assurée. Le moment où j’ai le plus confiance en moi, c’est quand mes rêves sont menacés. Dans ces cas-là, je suis capable de démultiplier mes forces. Face à la tragédie, je triomphe.
Le 4 février 2011, tu balances ton numéro de téléphone. C’est vraiment le tien?
Ça l’a été, oui! D’ailleurs, il marche toujours. Il reçoit beaucoup d’appels, mais je ne les consulte jamais. Au moment où je l’ai posté, déjà, je recevais des tas de coups de fil, dont certains étaient vraiment bizarres. Il y a des gens qui se masturbaient sur mon répondeur, d’autres qui rappaient, me faisaient des demandes en mariage ou des menaces de mort. Bref, c’était assez barré.
Le 2 avril 2011, tu postes ta toute première chanson. Tu n’en avais jamais écrit avant?
Non. Et d’ailleurs, je n’en ai pas réécrit jusqu’à Reservation. C’est drôle, parce qu’au moment où je l’ai postée, je pensais que c’était la chanson la plus cool du monde. Elle s’appelait Time of my Life, les paroles étaient très mignonnes, j’étais vraiment fière de moi… Et puis je l’ai fait écouter à ma mère et elle n’a pas aimé du tout! (Rires.) J’étais trop sensible à l’époque, alors ça m’a beaucoup affectée. Depuis, j’ai évolué: si la chanson me plaît, c’est la seule chose qui compte.
Le 22 août 2011, tu postes une vidéo qui n’est plus visible aujourd’hui. En remontant ta timeline, on découvre d’ailleurs que toutes tes anciennes vidéos sont bloquées. Comment ça se fait?
C’est parce que je les ai retirées du Web! À l’époque de ces vidéos, j’étais une enfant. J’ai voulu faire table rase, choisir de me représenter d’une autre façon.
Le 26 janvier 2012, tu postes une photo de toi en mini-jupe et talons hauts. C’est un look dans lequel on te voit rarement, non?
Avant, j’alternais toujours entre des looks très masculins et d’autres exagérément féminins. Je passais constamment d’un extrême à l’autre. Mais maintenant, je ne fais plus trop ça, car j’ai vraiment un gros cul. Je ne peux plus le voir en peinture. Avant, j’étais super maigre, je pesais 43 kilos, je n’avais même pas de fesses. Maintenant, même si je suis toujours mince, j’ai un cul énorme.
Le 10 août 2012, tu annonces une bonne nouvelle: tu viens de signer avec Universal. Ça a été compliqué de trouver un contrat?
Non, hyper rapide pour moi au contraire. C’est arrivé un mois après la sortie de Reservation. C’était dingue parce qu’il y a avait un mec chez Atlantic Records qui me disait toujours que je n’avais pas l’étoffe d’une star, que je ne possédais rien de plus que les autres, et un mois plus tard, il a été le premier à vouloir me signer. Très honnêtement, je suis tombée des nues. Je ne saurais pas comment décrire ce que décrocher ce contrat a provoqué en moi, car je n’ai toujours pas réussi à prendre le recul nécessaire. Ça a bouleversé toute ma vie dans ses moindres détails, de l’endroit où je vivais à mes relations avec les gens.
Le 15 janvier 2013, tu t’excuses en vidéo pour ton comportement, suite au clash avec Azealia Banks. Aujourd’hui, es-tu contente que ton album soit sorti alors que le sien, toujours pas?
Waouh! Non! (Rires.) J’ai dit que j’étais désolée et je le pensais. M’en prendre à elle par voie médiatique aujourd’hui ferait de moi une pire connasse encore qu’à l’époque. Je pense qu’elle mérite que son album sorte. Elle a travaillé si dur dessus, elle a attendu tellement longtemps.
Le 24 avril 2013, tu prends la défense des homosexuels, des transexuels, des pansexuels et de “tout ce qui n’est pas standardisé et considéré comme ‘normal’”. Tu as l’impression d’avoir des responsabilités politiques en tant que chanteuse?
Non, mais j’en prends quand quelque chose me touche personnellement, me semble important ou affecte quelqu’un que j’aime. J’ai des fans qui me disent “Ma mère me hait parce que je suis pédé, du coup je me déteste”. Ce genre de choses ne devrait jamais arriver.
Quand tu as écrit Cleaning Out My Closet, où tu racontes tes viols, tu l’as fait pour toi en premier, ou pour les autres?
Pour moi. Au départ, c’était purement cathartique. Je ne m’attendais pas du tout à ce que les gens se sentent si profondément touchés par mon histoire, à ce qu’ils m’écrivent pour me dire qu’elle reflétait la leur et qu’ils se sentaient moins seuls. Prendre quelque chose de négatif, que je percevais comme l’un de mes démons, et le regarder se transformer en espoir et en inspiration pour les autres, c’est formidable.
Tu arrives à écouter ce morceau aujourd’hui?
Non. Pas du tout, mais alors, du tout.
Le 20 septembre 2012, tu postes une photo de ton nouveau tatouage. Tu en as plein partout, tu es accro?
Complètement! J’en ai d’ailleurs un nouveau depuis, un grand portrait d’Edgar Poe sur ma jambe. J’aime la douleur, c’est enivrant. Mais je fais bien attention à ne pas graver sur ma peau quoi que ce soit que je ne voudrais pas garder pour toujours. Il y en a un que j’ai fait à l’âge de 15 ans et que je regrette du plus profond de mon être. J’ai tellement hâte de le recouvrir.
Qu’est-ce qu’il représente?
Tu veux le voir? (Elle relève la manche gauche de son tee-shirt, apparaît un tatouage en forme de code barre). C’est la décision la plus conne que j’ai prise de toute ma vie. Je n’aurais pas pu choisir pire.
Le 21 décembre 2013, tu as posté une vidéo expliquant pourquoi tu avais fait fuiter ton album dans le dos de ta maison de disques. Pourtant, quelques jours plus tôt, c’est sur Twitter que tu as prévenu tes fans que ton album était disponible. Pourquoi Twitter plus que Facebook?
Twitter est le seul réseau social que j’utilise; je n’aime pas tellement Instagram ni quoi que ce soit d’autre. Habituellement, je tweete et quelqu’un d’autre que moi s’occupe de poster sur Facebook. Moi, j’ai tendance à oublier que cette plateforme existe, car je ne gère plus ma page. Un jour, quelqu’un a essayé de la désactiver et de créer un faux profil sous mon nom et depuis ça, je déteste Facebook.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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