[Cet article a été initialement publié en janvier 2014]
Cher(e) Relou(e),
Toi qui, en maternelle, balayais d’un coup de Kickers notre sable doux, crachais dans nos couettes mal faites, regardais sous nos jupes plissées et refusais de partager ton camion de pompier. Toi qui, en primaire, érigeais une forteresse de papier pour ne pas nous laisser copier, gigotais l’heure entière le bras levé et ne partageais jamais ton goûter. Toi qui, au collège, jouais les caïds misogynes avant de nous dire “je tème” à coup de boulette Clairefontaine, une fois débarrassé de ta horde de décérébrés. Oui toi, relou prépubère, qui gravais des mots obscènes sur nos tables vierges, nous charriais sur notre bonnet B, écoutais NRJ RnB et balançais des rimes pourries en te prenant pour Jay-Z. Toi qui, au lycée, jouais les Roméo en citant Baudelaire et K. Maro, relançais le prof de philo à quelques secondes du gong et rappelais à Mme Berthier qu’aujourd’hui elle devait nous interroger. Tu nous as saoûlés toute notre scolarité et pour ça, Relou, on ne te remercie pas.
Toi qui, sur le quai, te transformes en bélier quitte à foncer, tête baissée, dans la dizaine de passagers qui cherchent à descendre sans se faire piétiner.
Toi qui, dans une salle obscure, accordes une place douillette à ton manteau & co au milieu de la rangée pendant que la salle archi-complète laisse en galère des gens qui, comme toi, ont payé leur place de cinéma. Toi qui fais des bruits de bouche et croques tes M&M’s juste au moment où la salle est en suspens. Toi qui, dans le métro, ne te lèves pas de ton strapontin et n’as pas l’air un chouïa interpellé par cette jeune femme enceinte qui lutte en silence accrochée à la barre saturée. Toi qui, sur le quai, te transformes en bélier quitte à foncer, tête baissée, dans la dizaine de passagers qui cherchent à descendre sans se faire piétiner. Toi qui, en voiture, trouves ça amusant de frôler les scooters au risque de flirter avec l’accident con. En même temps, c’est toi qui as la plus grosse, il faut que tu t’imposes. Toi qui, à l’abri dans ta Smart cosy, ne t’arrêtes pas au passage clouté quand un piéton tente de traverser sous une pluie battante à souhait. Toi qui, dans la file, arrives de côté et t’y glisses en douceur le regard droit et fier d’avoir grugé sans te faire pincer. Toi qui, à 55 ans, tapes une crise de nerfs parce que nous n’avons pas daigné te laisser notre siège dans le bus 67. Toi qui, deux heures après, te vexes si on te laisse la place dans le RER. Toi qui zigzagues sur le trottoir, l’œil rivé sur ton smartphone, et nous condamnes à suivre ton sillage sans broncher. Toi qui ne tiens pas les portes, qui nous bouscules sans un geste d’excuse et partages sans notre consentement ton son loin d’être bon. Tu nous gonfles tous les jours et pour ça, Relou, on ne te félicite pas.
Toi qui, dans l’avion, nous donnes l’impression que l’on va se crasher.
Toi qui, sur Facebook, balances des citations pourries pour nous faire réfléchir sur la vie. Toi qui nous rappelles, via tes photos posées, que notre vie à nous n’est pas aussi crazy. Toi qui montes sur nos skis dans la file des remontées mécaniques. Toi qui, au pic de la soirée, balances “les sardines” et enchaînes avec “les serviettes” parce que c’est la fêêêête. Toi qui scotches ta serviette à la nôtre et déploies ton parasol sans te soucier de cacher les rares rayons que l’on vient grignoter. Toi qui, dans le train, nous confies ton gamin sous pretexte qu’il nous aime bien, hurle dans ton téléphone et sors ton sandwich saucissonné à juste 10 heures passées. Toi qui, dans l’avion, nous donnes l’impression que l’on va se crasher à peine embarqués. Tu nous agaces de temps en temps et pour ça, Relou, on ne t’applaudit pas.
Toi qui penses toujours que les femmes sont des vitrines que tu peux commenter sans craindre de te faire amocher.
Toi qui klaxonnes à bord de ta camionnette au moment où l’on traverse tranquillement le passage piéton. Toi qui as l’âge de mon papa et me demandes une main sur le volant (l’autre, on ne veut pas savoir où) si j’ai besoin d’aide pour monter mes courses, avant de rentrer embrasser ta fille de deux ans mon aînée. Toi qui interromps nos balades musicales en balançant sans un regard franc un avis cavalier sur notre physique que nous ne t’avons pas demandé de juger. Toi qui nous mets mal à l’aise avec tes regards insistants et tes gestes malsains dans les transports en commun. Toi qui penses toujours que les femmes sont des vitrines que tu peux commenter sans craindre de te faire amocher. Tu nous énerves de plus en plus et pour ça, on ne te lâchera pas. Alors, en 2014, Relou, tu ne voudrais pas t’alléger de quelques mots mal placés, gagner en altruisme et en respect et éviter de distiller ces petits détails qui nous agaçent? Tu ne sais pas à quel point tu embellirais notre quotidien.
Amandine Grosse