Derrière les numéros verts de soutien aux femmes voulant pratiquer un avortement se cachent des plateformes pro-vie. Aux manettes, des bénévoles anti-IVG à l’oreille attentive. Et ce sont ces sites qui apparaissent en majorité dans les premiers résultats Google lorsqu’on tape le mot “avortement”.
[Cet article a été initialement publié en novembre 2013]
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“Vous savez, avorter n’est pas la seule solution et avoir un enfant seule n’est pas insurmontable”, commence une bénévole du centre d’écoute d’ivg.net. “Certaines femmes ne se remettent jamais d’avoir avorté et font des cauchemars pendant toute leur vie”, ajoute-t-elle petit à petit. Le but officiel de ce site est d’apporter des informations aux femmes qui veulent avoir recours à un avortement. Mais, majoritairement, les propos relatent des expériences négatives. Les mots utilisés sont “définitif”, “regret”, “traumatisme”.
Les témoignages trouvés au fil des pages sont extrêmement tranchés. À l’image de la réalité sur le terrain selon eux: “J’étais là physiquement mais intérieurement je suis morte! Je suis morte avec cet enfant… Je suis tombée dans une dépression suite à ça, je ne sortais plus, ne parlais plus, ne mangeais plus, je passais mes journées dans le noir à pleurer, je me laissais presque mourir, oui. Car je voulais rejoindre mon bébé.”
Administrés par l’association SOS-détresse, le site ivg.net ou avortement.net, son double, revendiquent des informations fiables et complètes sur les véritables conséquences de l’avortement. L’association accuse le gouvernement de vouloir nier les séquelles et de museler les opposants. “Il y a tellement de femmes en détresse psychologique et affective, elles sont de plus en plus seules”, insiste Marie Philippe, la directrice de publication de ces sites qu’elle déclare apolitiques et aconfessionnels. “Les médecins s’en fichent, ils sont pour la plupart des techniciens car ils n’ont simplement pas le temps”, continue t-elle.
Capture d’écran d’un site non-officiel
Numéros gratuits et informations culpabilisantes
Quoi qu’il en soit, les informations données tendent toutes vers la même conclusion, que l’on pourrait résumer ainsi: “Avorter, c’est trop dur pour toi”. Les bénévoles de l’association demandent aux femmes de donner leur numéro de téléphone pour pouvoir pratiquer un suivi. Pas nécessaire puisque les numéros s’affichent déjà sur leurs boîtiers alors même que les appels sont supposés être anonymes. Près de 80% d’entre elles le donnent. Certaines l’ont regretté.
Certaines femmes ont même été rappelées par des bénévoles de ces associations non-officielles jusqu’à la date de l’IVG.
Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, affirme avoir reçu des plaintes et de nombreux témoignages de femmes piégées par ces sites et ces numéros gratuits qu’ils diffusent. Certaines ont même été rappelées jusqu’à la date de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). “Par indifférence ou négligence, les pouvoirs publics avaient laissé le terrain de l’information à des intérêts privés qui, sous couvert de neutralité et de bienveillance, diffusaient des informations orientées et culpabilisantes”, explique la ministre.
Lancement d’un site officiel
Capture d’écran du site officiel du gouvernement
Pour “manifester l’attachement du gouvernement à garantir le libre choix des femmes à disposer de leur corps et du droit à l’IVG”, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé et Najat Vallaud-Belkacem ont mis en place, fin septembre, le nouveau site sante.gouv.fr/ivg, lancé à l’occasion de la Journée de mobilisation internationale des associations pour le droit à un avortement légal et sûr.
Les IVG n’ont pas augmenté au cours des derniers mois de 2012 mais les associations pro-vie accusent le gouvernement d’avoir des chiffres officieux.
Près de 222 500 IVG ont été réalisées en France en 2011. Ce nombre est stable depuis 2006, après une dizaine d’années de hausse entre 1995 et 2006. Et, d’après les données provisoires, les IVG n’ont pas augmenté non plus au cours des derniers mois de 2012. Mais les associations pro-vie accusent le gouvernement d’avoir des chiffres officieux. “On ne trouve aucune étude en France donc toutes nos données sont internationales”, explique Marie Philippe.
La Direction générale de la santé (DGS) affirme pourtant que plusieurs sources peuvent actuellement être utilisées pour le suivi annuel du nombre d’IVG: les bulletins d’interruption de grossesse (BIG), la statistique annuelle des établissements de santé (SAE) et les données recueillies dans le cadre du programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI). Pour l’estimation globale, les comparaisons réalisées au niveau régional, départemental et, pour certains départements, par établissement, montrent que les chiffres issus de la SAE sont les plus réguliers en tendance et globalement les plus fiables.
Le défi du référencement
L’objectif du gouvernement est également d’inscrire le site public, comme l’ensemble des sites d’information qu’il juge fiable et de qualité, parmi les premiers sites présents sur les moteurs de recherche. Car le nerf de la guerre dans le monde digital, c’est le référencement. Le ministère des droits des femmes a ainsi informé ces associations de l’existence des Google Ad Grants, encore peu connus.
Le planning familial s’est inscrit au programme Google Ad Grants et il est aujourd’hui placé en première position dans les recherches du mot-clé avortement.
Ce programme permet alors aux sites éligibles comme ivglesadresses.org, planning-familial.org, choisirsacontraception.fr ou encore vosdroits.service-public.fr de bénéficier d’une meilleure visibilité auprès des internautes. Google Ad Grants offre à ces dernières la promotion de leurs missions et leurs initiatives sur google.fr en leur offrant un crédit de publicité chaque mois. Le planning familial s’est inscrit au programme. Il est aujourd’hui placé en première position dans les recherches du mot-clé avortement. Celui de santé.gouv.fr/ivg est le premier pour le mot-clé IVG.
Reste que le site mis en place par le gouvernement reste informatif. Il n’a pas vocation à remplacer les centres d’écoute déjà existants. Le planning familial continue de remplir la même fonction d’accueil des femmes voulant s’informer sur l’IVG. Mais lorsqu’on tape avortement sur Internet, les premiers numéros que les internautes trouvent facilement sont ceux de ces associations non-officielles.
Aurore Hennion
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