Dans Suzanne, le deuxième long métrage de Katell Quillévéré, Sara Forestier se donne corps et âme au destin romanesque d’une jeune fille que la passion amoureuse pousse à tout abandonner. Rencontre avec une comédienne intense, dont on attend avec impatience le premier long métrage.
Qu’est-ce qui vous a touchée dans l’histoire de Suzanne?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
J’ai aimé que le film raconte quelque chose de très vrai sur l’amour et ses effets secondaires, notamment le fait de dépasser ses propres limites, de se perdre soi-même. Suzanne, quels que soient ses choix, est guidée par une force qui la dépasse, que peuvent ressentir tous les gens qui sont vraiment tombés amoureux. Ce n’est pas de l’ordre du rationnel ou de l’intellectuel, mais de l’émotionnel, et Suzanne est justement un film rempli d’émotions. On ressent les choses, on ne les explique pas.
On vous associe à des personnages énergiques, expansifs: appréhendiez-vous d’interpréter une jeune fille plus mélancolique?
Ce n’est pas toujours évident de jouer la fraîcheur et l’exubérance sans être horripilant, il y a un véritable équilibre à trouver. Ce que j’aime, c’est être sur le fil, incarner des personnages intenses, et la pudeur n’empêche pas l’intensité. La douleur de Suzanne a beau être sourde, elle n’en est pas moins profonde. Inconsciemment, je crois que j’avais très envie de jouer une grande amoureuse.
© Mars Distribution
Avez-vous eu besoin d’imaginer ce que devenait Suzanne dans les nombreuses ellipses du film?
Non, car je ne voulais pas être dans la psychologie, mais plutôt dans l’instinct. C’était cohérent avec l’idée du film: raconter le destin extraordinaire d’une fille ordinaire. Pour être dans le vrai, il fallait que je puise en moi. C’est probablement l’un des films les plus intimes que j’ai tournés.
“C’est, entre autres, grâce aux chaussures que je rentre dans un personnage, que je trouve son allure.”
Qu’est-ce que cela change de tourner avec une réalisatrice de sa génération?
Notre complicité a été très naturelle: Katell et moi partageons un vrai goût du romanesque. Je n’aime pas le cinéma pépère et elle s’est vraiment mouillée dans son récit. Il y a un côté rock et beaucoup d’intensité dans ce film, à la fois maîtrisé et audacieux. On sent qu’il a été fait par une jeune réalisatrice: ce n’est pas du cinéma timide.
Dans Mes séances de lutte, de Jacques Doillon (sorti en novembre 2013), votre travail sur le corps était très impressionnant: diriez-vous que votre jeu a évolué depuis dix ans?
J’ai le sentiment d’avoir toujours travaillé avec le corps, mon jeu est un mélange d’intellectuel -l’approche du récit, la psychologie du personnage- et d’instinctif. C’est, entre autres, grâce aux chaussures que je rentre dans un personnage, que je trouve son allure, la façon dont il se déplace. J’ai besoin de passer par cet “extérieur”, cela m’aide beaucoup.
© Mars Distribution
Vous allez à votre tour réaliser votre premier long métrage: une suite logique de votre travail de comédienne?
Quand je suis actrice, j’aide un metteur en scène à raconter au mieux son histoire, mais j’ai eu très tôt envie de raconter mes propres histoires. J’ai d’ailleurs eu l’idée du sujet de mon film sur le tournage de L’Esquive.
Une histoire d’amour entre une jeune bègue et un pilote de courses clandestines: on est loin de la tradition du premier film intimiste!
J’ai besoin que le cinéma transcende les choses. C’est ce que j’ai aimé avec Suzanne: ce n’est pas un film minimaliste. Et quand je pense à l’histoire de mon film, je vois de vraies scènes de cinéma.
“Adèle Exarchopoulous est une actrice extrêmement inventive, instinctive aussi. Elle a le feu sacré.”
Vous avez confié le rôle féminin de ce film à Adèle Exarchopoulos, qui, comme vous, a été révélée par Abdellatif Kechiche. C’est en voyant La vie d’Adèle que vous avez pensé à elle?
Non, elle a passé un casting, et c’était la meilleure. C’est une actrice extrêmement inventive, instinctive aussi. Elle a le feu sacré.
Que vous inspire le cinéma français aujourd’hui?
En ce moment, il me fait penser au cinéma indépendant américain: Katell a un sens du récit et du romanesque qui évoque un peu Martin Scorsese. En termes de jeu, mes références sont d’ailleurs américaines: Forest Whitaker fait partie des acteurs qui m’influencent. J’aime la notion de performance chez les acteurs américains, qui suppose un investissement très fort: ils n’ont pas le pied sur le frein.
Votre dernier coup de cœur au cinéma?
Capitaine Phillips, avec Tom Hanks. Je l’ai trouvé incroyable. C’est tellement bien joué, on y croit à fond!
Propos recueillis par Mathilde Lorit
{"type":"Banniere-Basse"}