Alors que, dans le football professionnel, les femmes se comptent encore sur les doigts de la main, Pauline Gamerre est depuis deux ans directrice générale du Red Star, club mythique de la région parisienne. Rencontre avec une passionnée qui n’est pas là que pour le sport.
Quand vous sollicitez une personne pour quelque chose d’aussi personnel qu’un portrait, il est souvent nécessaire de la mettre en confiance. Pas Pauline Gamerre. Au premier contact, par téléphone, c’est plutôt elle qui vous met à l’aise. Chaleureuse, disponible, drôle. “Vous avez deux options pour venir jusqu’ici, la ligne 4 jusqu’au terminus ou la 13 jusqu’à Mairie de Saint-Ouen. C’est long mais ça a du charme le métro, comme dit NKM”, plaisante-t-elle en nous donnant les indications pour la retrouver la semaine suivante.
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Pourquoi faire son portrait? Elle répond d’elle-même: “Je suis une femme, jeune, dans le sport, le foot en plus, et dans le 93 (ndlr:la Seine-Saint-Denis). Ça fait pas mal…”, lâche-t-elle, sans se départir de son rire communicatif. En effet, à tout juste 30 ans, Pauline Gamerre est directrice générale d’un club de foot mythique de la région parisienne, le Red Star.
Le Red Star FC a été fondé en 1897 par Jules Rimet, futur président de la Fédération française puis de la Fédération internationale de football et créateur de la Coupe du monde. Le club a fait des merveilles bien avant le Paris Saint-Germain, donc, et tous les amateurs de foot en connaissent le nom, ainsi que ceux des grands joueurs qui y sont passés.
“Je n’ai jamais souffert d’être une femme, mais c’est vrai que c’est un milieu où il faut parfois sortir les gants de boxe.”
Un lourd héritage à porter, mais qui n’a pas l’air de gêner la jeune femme. Quand elle nous accueille au stade Bauer, à Saint-Ouen, où joue et s’entraîne l’équipe professionnelle, c’est avec ce sourire à toute épreuve qu’on devinait par téléphone et le même humour. “Le charme du vétuste”, lâche-t-elle pendant la visite. C’est vrai que les coulisses du stade ressemblent plus à un quelconque club municipal qu’à l’écrin d’une grande équipe.
En suivant Pauline Gamerre dans les travées du stade Bauer, à la rencontre du staff, des entraîneurs, des joueurs, on entrevoit une facette d’elle passée jusque-là inaperçue. Sa démarche, sa poignée de main, même sa voix sont terriblement assurées. On découvre une grande détermination, beaucoup d’autorité. Derrière cette jeune femme aux longs cheveux blonds, avec laquelle on se verrait bien plaisanter toute la journée, se dévoile une meneuse d’hommes.
On imagine que ce sont ces qualités qui lui ont permis de se faire une place dans un monde où les rares femmes sont cantonnées aux postes de secrétaire ou de chargée de communication. C’est sûr, sa présence surprend, mais Pauline Gamerre assure qu’elle a “la chance d’avoir un patron et des collègues qui ne sont pas machos. Je n’ai jamais souffert d’être une femme, mais c’est vrai que c’est un milieu où il faut parfois sortir les gants de boxe, y compris quand on est un homme”. Elle refuse d’ailleurs de faire la bise à ses joueurs, c’est une poignée de main ou rien, et n’hésite pas à les remettre à leur place pour une mauvaise blague.
© Laetitia Prieur / Cheek Magazine
Une bonne part de “hasard” l’a aussi amenée où elle est aujourd’hui, précise-t-elle. Elle n’a jamais pensé diriger un club. Ceci dit, le football la suit depuis longtemps déjà. “J’y ai toujours joué. C’est un des mystères de la famille”, explique-t-elle. Père médecin, mère au foyer, aucune prédisposition. “Je viens d’une famille de filles, je n’ai pas eu de grand frère pour m’amener au stade. Je crois qu’un psy dirait que c’était ma manière de me démarquer de mes quatre soeurs.” Et peut-être aussi le fait d’avoir grandi à Marseille, l’une des patries du foot en France.
Ado, elle se voit journaliste sportive, rêve d’un journalisme de terrain, ambitieux, “à la Françoise Giroud”. Mais ses premières expériences ne sont pas à la hauteur de ce qu’elle espérait. Seuls les documentaires et les reportages télé au long cours trouvent grâce à ses yeux. Après Sciences Po, la voix royale des aspirants journalistes, elle fait donc le grand écart et intègre un master de production audiovisuelle en école de commerce.
“C’est un peu comme une relation de couple, tu ne peux pas en supporter deux.”
Le “hasard”, toujours lui, l’amène ensuite à prendre en charge les contenus sport de Dailymotion, alors que le site n’en est qu’à ses balbutiements. Rattrapée par sa passion? C’est en tout cas là qu’elle sera découverte et débauchée par le Red Star en 2009, d’abord pour s’occuper de la communication. Puis elle est promue DG il y a deux ans. Un job qu’elle cumule avec d’autres fonctions chez Première Heure, la société propriétaire du club.
Mais pourquoi avoir rejoint le Red Star, alors qu’elle n’en rêvait pas? Cette relation tient, semble-t-il, de l’histoire d’amour. D’ailleurs, en l’intégrant, elle a cessé de supporter l’Olympique de Marseille, sa première équipe de cœur : “C’est un peu comme une relation de couple, tu ne peux pas en supporter deux.” Pauline Gamerre est, en quelque sorte, tombée amoureuse du projet du club, notamment auprès des jeunes.
© Laetitia Prieur / Cheek Magazine
Car l’objectif du Red Star n’est pas seulement de voir remonter son équipe professionnelle en Ligue 2 ou Ligue 1, les meilleures divisions du football français. Le club veut aussi permettre aux gamins du coin de grandir en son sein. Pour voir certains devenir professionnels chez eux, à Saint-Ouen, et offrir à tous une éducation, une ouverture culturelle.
Quand elle évoque ce projet, Pauline Gamerre s’anime encore un peu plus -ce que l’on aurait cru impossible. Manifestement, c’est autre chose que la simple passion du sport qui la pousse. “Le 93, c’est un peu la Silicon Valley du foot. Tous les gamins en font. Après la famille et l’école, le club est leur troisième lieu de socialisation, ce qui nous donne une grande responsabilité. On a un rôle social auprès d’eux. Il y a chez nous un très fort volet éducatif, c’est ça le Red Star”, martèle-t-elle. À ses débuts en 1897, le club abritait aussi un groupe de lecture; aujourd’hui les enfants participent à des ateliers artistiques, une école de supporters, peuvent bénéficier de soutien scolaire… Des initiatives que tous les clubs ne sont pas prêts à mettre en oeuvre.
Elle tient de son père médecin “ce besoin de faire un boulot qui [lui] donne l’impression de défendre une cause”.
“C’est pour ça que je ne pourrais pas travailler ailleurs qu’au Red Star. C’est dans l’ADN du club et c’est aussi une fibre qui est en moi”, explique-t-elle. Parce qu’elle a commencé à jouer au football à Marseille “dans une grande mixité culturelle que je retrouve ici” et parce qu’elle tient de son père médecin “ce besoin de faire un boulot qui [lui] donne l’impression de défendre une cause”. “D’ailleurs, je pourrais peut-être aussi travailler dans une ONG plus tard”, réfléchit-elle à voix haute.
Car si sa vie est aujourd’hui tout entière consacrée au foot, Pauline Gamerre ne se voit pas faire ça “pour toujours”. Trop chronophage! “Tu te réveilles et tu te couches en pensant au club”, raconte-t-elle. Même dans son temps libre, elle “stresse pour les matchs du Red Star”. Et galère pour trouver du temps pour les parents, les “sisters”, les amis et le bon vin. Et les histoires de cœur dans tout ça? Elle oppose son véto, insister ne servira manifestement à rien d’autre qu’à se faire rembarrer. En revanche, elle oubliait un loisir! À une époque, elle était “gameuse”. Son péché mignon: les jeux vidéos de football.
Raphaëlle Peltier
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