C’est la fin d’un suspens. Après vingt ans au parlement, Silvio Berlusconi a été destitué le 27 novembre dernier. Un séisme politique, ok, mais surtout un jour de deuil vestimentaire pour quatre sénatrices de Forza Italia -“Allez l’Italie” était le slogan des supporters de l’équipe de football italienne avant de devenir le nom du parti de Berlusconi-: Maria Rosaria Rossi, Maria Rizzotti, Maria Elisabetta Alberti Casellati et Paola Pelino.
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Coïncidence, ces femmes se sont données en spectacle au Sénat italien ce jour-là, dans ce lieu connu à Rome comme le Palazzo Madama -le Palais Madame. Pour protester contre l’éviction de leur chef, elles ont débarqué dans l’hémicycle tout de noir vêtues. L’image pourrait juste prêter à sourire, mais ce serait oublier que le vêtement en politique est un symbole qui compte autant que le discours.
Le fait d’arme des veuves noires de Silvio Berlusconi ne pouvait donc pas passer inaperçu et prouve la spectacularisation de la démocratie italienne, dans ce pays qui a fait, très tôt, de la politique, un show. La Rome antique n’avait-elle pas inventé les jeux du cirque en son temps pour amuser la plèbe? Dans ce spectacle permanent, les personnages politiques se comportent, au sens propre du terme, en “acteurs”: ils jouent, revêtent leurs costumes et se mettent en scène dans ce cirque médiatique où la télévision règne.
L’Italie, c’est le pays de la “Cicciolina”, une ancienne actrice de films pornographiques lancée en politique.
Oui, “the show must go on”, et ce happening vestimentaire le prouve. L’Italie, c’est le pays de la “Cicciolina”, une ancienne actrice de films pornographiques lancée en politique. C’est le pays de Mara Carfagna, une ancienne candidate à Miss Italie devenue showgirl à la télévision avant de devenir députée de Forza Italia et ministre de Berlusconi, dont l’empire médiatique a favorisé l’ascension de ces femmes au physique avantageux. C’est le pays où un chef de gouvernement, imperméable aux outrages du temps, peut évoquer ses interventions chirurgicales et capillaires sans craindre le ridicule. D’ailleurs, à voir l’une des veuves noires, Maria Rizzotti, on se dit que le bistouri est une passion commune qu’elle partage avec Silvio Berlusconi, et je ne parle pas du fait qu’elle soit chirurgienne de profession…
Ce happening vestimentaire résonne d’autant plus qu’il a eu lieu dans la patrie de la mode, où celle-ci est partout, du design des cuisines à celui des voitures, en passant évidemment par les vêtements de luxe: Prada, Valentino, Ferragamo, Versace, Fendi, Armani, Zegna, Gucci, Ferré, ou encore Cavalli, le palmarès est impressionnant pour le pays de la botte! L’une des sénatrices, Paola Pelino, est d’ailleurs une véritable fashion victim, à voir les tenues qu’elle arbore dans l’hémicycle. À Rome, on s’amuse à rappeler sa condamnation judicaire à s’acquitter d’une facture impayée de vêtements dans une boutique de Pescara pour un montant de 11000 euros!
En les regardant, je n’ai pu m’empêcher de penser aux campagnes Dolce & Gabbana -les plus légendaires avec Monica Bellucci- mettant en scène ces femmes imitant les veuves siciliennes, couvertes de résille et de dentelle noire, portant croix et perles… Bref des madones éplorées mais glamour!
Dans la Bible, le noir n’est-il pas la couleur des épreuves et des défunts?
On ne sait pas par quel couturier les veuves noires de Silvio Berlusconi étaient habillées. Mais elles avaient choisi leur couleur: le noir du deuil, en signe de protestation contre “le complot” visant leur chef et en signe de solidarité affichée avec lui. Dans la Bible, le noir n’est-il pas la couleur des épreuves et des défunts? Silvio Berlusconi ne renie pas la dimension christique du châtiment qui lui est infligé lorsqu’il pose avec sa fiancée de 28 ans, Francesca Pascale, véritable Marie-Madeleine elle aussi vêtue de noir lors du discours d’appel à la résistance de son “martyr de la liberté” comme le surnomment ses partisans.
Historiquement associé au deuil, le noir est coûteux à produire sur les vêtements et jusqu’au XVIIème siècle, seuls les aristocrates pouvaient se payer le luxe d’avoir un habit de deuil noir. Avec leurs tenues, ces femmes politiques ont affiché bien plus qu’une couleur, mais un symbole. Erreur de communication? Possible, car le noir c’est aussi la couleur de l’ultra droite dans de nombreux pays. Mais le noir est avant tout la couleur de l’élégance dans la mode. Basique de nos garde-robes contemporaines, c’est le noir chic que l’on arbore encore dans les tenues de gala, à l’image des habits princiers portés à la Renaissance.
Ces héroïnes ont un point commun: elles doivent leur ascension politique à la volonté directe du chef de clan.
Au deuxième coup d’œil sur ces pasionarias, j’hésite toujours entre la vision christique de ces apôtres berlusconiennes -Elisabetta Casellati est une spécialiste du droit canon, ça ne s’invente pas- et la vision romantico-mafieuse de ces veuves éplorées, comme celle de l’œuvre du peintre romantique italien Francesco Hayez, Il consiglio alla vendetta (1851). Car oui, on est bien sur la terre de la vendetta où la justice vengeresse est exercée par le clan et la famille. Et c’est bien ainsi que ces femmes se considèrent, comme Paola Pelino pour qui “Berlusconi est comme un père, et les enfants ne trahissent pas leur père”.
À l’image de l’araignée de petite taille, faut-il donc s’attendre à voir ces veuves noires distiller leur venin mortel contre les adversaires de leur César? Ces héroïnes partagent en tout cas un point commun: elles doivent leur ascension politique à la volonté directe du chef de clan, un Berlusconi dont le costume de patriarche ou de “padrino” semble être taillé sur mesure. Berlusconi a juré qu’il “continuerait le combat” et ne se “retirerait pas dans un couvent”. C’est dommage car là, au moins, des femmes tout de noir vêtues, on est sûr qu’il pourra en croiser tous les jours!
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