Après Un Poison violent en 2010, elle signe son deuxième long métrage, l’intense Suzanne, en salles le 18 décembre. Rencontre avec la réalisatrice Katell Quillévéré.
Un peu Béart, un peu Seigner: selon le profil, Katell Quillévéré évoque une Emmanuelle ou l’autre. Mais avec un regard brun dont l’insondable mélancolie n’appartient qu’à elle. Si la jeune femme égale bon nombre d’actrices en termes de photogénie et d’expressivité, c’est pourtant de l’autre côté de la caméra qu’elle a toujours voulu se placer. À 33 ans, elle s’apprête à dévoiler son deuxième long métrage, Suzanne, qui met en scène une Sara Forestier plus sidérante que jamais en héroïne tragique abonnée aux choix foireux, dont le destin s’assombrit inexorablement au fil du temps qui passe. Tout l’inverse de cette réalisatrice qui, à force de décisions soigneusement mûries et d’une inaltérable détermination, semble promise à un avenir radieux.
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“Suzanne est d’une certaine manière mon négatif, c’est toute une part de moi que je ne m’autorise pas”, explique-t-elle autour d’un café. En couple depuis 13 ans avec le réalisateur Hélier Cisterne, qu’elle a rencontré sur les bancs de la fac de Paris 8, maman d’un garçon depuis deux ans, il est clair que la vie de Katell Quillévéré semble aussi rangée que celle de son héroïne est chaotique. Au fil de la discussion pourtant, en tendant l’oreille attentivement, on perçoit distinctement quelques remous sous la surface. Sûrement parce qu’elle n’a pas tellement l’habitude de se raconter de cette manière-là -comme elle nous le confie avant l’entretien-, chez Katell Quillévéré plus que chez d’autres, il faut savoir déjouer les apparences.
© Nathalie Sanchez / Cheek Magazine
Première surprise, elle n’est pas née au pays des surgelés Tipiak, comme son patronyme pourrait le suggérer, mais sous le soleil brûlant d’Abidjan. Sa mère y était prof de physique/chimie et son père dans les travaux publics. De l’Afrique, elle dit avoir beaucoup de souvenirs, comme celui d’être quasiment la seule blanche dans sa classe, ou comme l’hymne ivoirien qu’elle pourrait presque encore chanter -on n’a pas poussé le vice jusqu’à vérifier. Et puis, elle se rappelle la chaleur, la mer, “des sensations physiques paradisiaques”. Quand elle avait cinq ans, sa famille a quitté l’éden pour atterrir à… Issy-les-Moulineaux. Son arrivée en France? “Violente”, dit-elle, mais vivable grâce à sa grand-mère, qu’elle connaissait très peu jusque-là, “quelqu’un d’assez fantasque et déjanté, qui m’a ouverte à autre chose que l’éducation très normée dans laquelle j’avais grandi”.
“La religion, c’est une grande consolation par rapport à l’angoisse de mort, et je pense que le cinéma aussi.”
Si la rencontre avec l’aïeule semble aujourd’hui “déterminante” dans son choix d’une carrière artistique, deux autres événements s’y ajoutent: le don d’un appareil photo par son père quand elle avait 14 ans, et la découverte de Maurice Pialat en terminale, lors d’un cycle consacré au réalisateur à la télé. Deux expériences qui transcendent l’ado en pleine crise de foi qu’elle était alors. “Enfant, j’étais croyante au sens profond du terme, j’avais un besoin de sacré. La religion, c’est une grande consolation par rapport à l’angoisse de mort, et je pense que le cinéma aussi.” Difficile de savoir ce qui l’a finalement poussée à bouder la croix -plus tôt dans la conversation, et sans qu’on sache vraiment si les deux sont liés, elle admet du bout des lèvres avoir connu des difficultés familiales, mais ne souhaite pas s’étendre sur le sujet.
Toujours est-il que la photo marque pour elle son “premier rapport à la composition, au cadre et au fait de laisser une trace, de saisir quelque chose du présent et de le garder en vie”. Pendant longtemps, elle s’imagine devenir photographe. Puis Pialat passe par là, “un choc”. “Je me suis sentie très proche de lui, de façon très intime. La douleur de l’abandon, de la séparation, c’est quelque chose qui me parlait profondément.” Mais au-delà de ces considérations très personnelles, c’est le désir de la jouer collectif qui pousse aussi la jeune femme à opter pour le cinéma plutôt que pour la photo. “L’idée de travailler à plusieurs me plaisait vachement”, explique-t-elle.
© Nathalie Sanchez / Cheek Magazine
Deuxième surprise, celle qui semble avoir beaucoup réfléchi sur elle-même est à mille lieues du cliché de l’artiste égocentrique. Preuve en est, elle est coprésidente de la Société des réalisateurs de films, association fondée en 1968 par Jacques Rivette, Robert Bresson, Claude Berri et d’autres, qui vise à défendre les droits moraux et économiques des cinéastes. “La richesse du cinéma français, c’est sa diversité”, rappelle-t-elle après une année marquée par les débats autour de la Convention collective du cinéma, finalement signée début octobre 2013.
Cette cinéphile aux goûts très éclectiques, qui fréquente les salles obscures plusieurs fois par semaine et adore autant le cinéma populaire que le cinéma d’auteur, se dit “solidaire de [sa] génération, des gens qui font des films, même différents des [siens]”. Plus largement, on sent que cette fille est résolument tournée vers les autres. Ça s’entend quand elle dit que, petite, elle était plutôt bonne élève, juste pour éviter que sa mère s’inquiète. Ça transparaît aussi dans ses méthodes de travail, qui “ne passent jamais par l’autorité au sens strict du terme. Il faut savoir susciter l’envie. En tournage, j’essaie d’être un gentil tyran”. Ça se lit, enfin, sur sa non-page Facebook où elle explique que, si on veut lui parler, il faut aller la voir sur les festivals dans lesquels elle se déplace. “Je préfère les rencontres humaines en face-à-face, il me semble que Facebook te met dans un rapport très bizarre à ton ego”, explique-t-elle.
“Je trouve que c’est un challenge plus grand d’être une fille dans ce monde.”
Si elle semble n’avoir jamais louché à outrance sur son nombril, elle affirme que c’est aussi la maternité qui l’a aidée à se décentrer, à détendre beaucoup de choses en elle. Mais elle n’idéalise pas pour autant l’expérience. “La première année est hyper dure, j’ai réussi à la traverser plutôt bien parce que j’avais mon film en tête. Ça m’a aidée à tenir.” Le fait que sa nouvelle héroïne passe elle aussi par l’étape de l’enfantement, mais dans des circonstances tout autres, n’est évidemment pas un hasard pour celle qui dit avoir besoin de se nourrir de la vie pour faire ses films. “Quand tu écris, tu déploies ton moi. J’ai mis du temps à rejoindre ma part féminine, j’ai découvert le plaisir d’être une fille assez tard, vers 20 ans peut-être. Le romanesque, je le vois toujours au féminin parce que je trouve que c’est un challenge plus grand d’être une fille dans ce monde.” Alors, sur cette Suzanne pas toujours très réglo sortie de son imagination, elle pose un regard sans jugement, qui semble faire écho à cette phrase: “J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui ont le courage de vivre leur vie, avec tout ce qu’elle peut avoir de difficile.” Un regard d’une insondable mélancolie, qui n’appartient qu’à elle.
Faustine Kopiejwski
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