Qu’est-ce que l’art? Notre contributrice Safia Bahmed-Schwartz invite ses pairs à répondre à cette question et en profite pour leur faire raconter leur vie. Cette semaine, elle a rencontré Jeanne Arthur, 30 ans, écrivain et strip-teaseuse.
Jeanne Arthur a une formation d’architecte, est écrivain mais pour gagner sa vie, elle a décidé de devenir strip-teaseuse, ou plutôt “danseuse exotique”, comme elle dit. Elle m’a confié son quotidien, les rôles qu’elle joue et ses passions.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Peux-tu te présenter?
Je m’appelle Jeanne, j’ai 30 ans, je suis écrivain et strip-teaseuse. Je suis en train de finir mon roman et je gagne ma vie à côté, puisque la littérature ne paye pas. J’écris pour le plaisir, dans le secret de ma chambre. J’en avais marre de passer douze heures par jour les fesses posées sur une chaise -au point d’en avoir des bleus sous les fesses.
Je suis aussi danseuse exotique depuis un mois et demi, je voulais un boulot qui mette en jeu quelque chose qui n’est pas naturel chez moi et qui me permette de rencontrer des gens et d’écouter des histoires. Pour être strip-teaseuse, j’ai donc créé le personnage de Juliette, qui est une version de moi hyper féminisée. Elle porte des strings, met de la couleur et n’a pas un gramme de testostérone dans le sang.
Que raconte le roman que tu es en train d’écrire?
Ma vie. Dedans, je suis danseuse exotique à Paris. Comme c’est un roman de gare, un roman noir, il en contient tous les ingrédients: flics, putes, drogues, sexe, beaucoup de Paris- une ville que j’aime- et des bad boys.
Quelle est ta formation?
À la base, j’ai fait une école d’architecte, Quai Malaquais.
“Être strip-teaseuse: un rêve de petite fille qui a vu trop de films américains.”
Dans ton contrat de danseuse, tu es qualifiée d’artiste. C’est quoi être artiste pour toi?
C’est forcément s’inscrire dans un cadre, quel qu’il soit: une commande, un média, un matériau, une technique, une époque, etc. On me dit souvent au club que j’ai un côté artiste, mais je n’ai jamais vraiment réussi à revendiquer ça. J’ai été un peu traumatisée car quand tu es en archi, on te met dans le crâne que tu n’es pas artiste. Mon école était en plus dans l’enceinte des Beaux-Arts, donc j’ai une sorte de pudeur par rapport à ce côté artiste, même si l’architecture est considérée comme un art.
Et ton point de vue à toi, c’est quoi?
Pour moi, l’art c’est tout d’abord un marché. C’est très pragmatique mais c’est comme ça. Un ami qui collectionne de l’art numérique m’a dit un jour que la peinture est et restera le médium le plus vendu. Même s’il se passe des choses dans l’art numérique, tu ne fais pas carrière dans l’art avec ton iPhone a priori.
Comment en es-tu venue à devenir strip-teaseuse?
Je pense que c’est un rêve de petite fille qui a vu trop de films américains. Pourtant, c’était un vrai challenge pour moi: je ne me suis jamais mise seins nus sur la plage, je suis quelqu’un d’extrêmement pudique et là, paradoxalement, ça m’a amusée d’essayer de mettre en scène l’impudeur dans ce cadre-là.
Quel bilan peux-tu dresser de ce mois et demi passé à danser dans un club du triangle d’or?
C’est un job super dur, il faut tout donner, tout le temps, avec tous les clients. Avec certains d’entre eux c’est très facile, car ils te portent, mais pour faire de l’argent, tu ne peux pas te limiter à ceux-là, il faut aller de client en client, être extrêmement dynamique, enjouée, souriante.
Quand tu bosses tous les soirs, le reste du temps tu ne fais que dormir, te faire les ongles, te raser et tu gardes tes plus beaux sourires pour les mecs du club. La journée, tu mets tes lunettes de soleil, tu fais la gueule et tu vas chez Starbucks, avant de redevenir une reine le soir venu. J’ai énormément de plaisir à faire ça mais ça rend un peu con au bout d’un moment.
“Ça m’a amusée de créer le personnage de Juliette, mais je ne veux pas le devenir.”
Quand tu arrives au club, tu deviens Juliette: est-ce que tu arrêtes de penser aux choses qui préoccupent Jeanne, comme ton roman?
Je ne pense plus du tout à mes écrits, mais je reste moi-même. Dernièrement, je me suis rendu compte que je travaillais tellement qu’on ne m’appelait plus que Juliette. Ça m’a amusé de créer ce personnage, mais je ne veux pas le devenir.
En plus d’écrire, tu dessines, n’est-ce pas?
Je fais des croquis que je suis la seule à comprendre, mon médium de prédilection est la peinture. Dessiner m’amuse, j’ai beaucoup de plaisir à faire des traits. Et j’écris beaucoup à la main, avec un stylo Dupont en bakélite argentée et de l’encre Cartier rouge.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter?
Du courage, parce que la scène que j’ai à écrire est très difficile. c’est la règle des 80/20: les derniers 20 % que je dois écrire vont me prendre 80% du temps total.
Comment va s’appeler ton roman?
Sans une plainte.
Propos recueillis par Safia Bahmed-Scwhartz
{"type":"Banniere-Basse"}