Alors que l’on parle de la génération Y comme étant celle qui a le pouvoir de changer le monde, je me demande aujourd’hui pourquoi la jeunesse tunisienne, mondialement acclamée pour son rôle précurseur dans la récente vague de protestations populaires communément baptisée Printemps arabe, est si déprimée.
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Moins de trois ans après la chute du régime Ben Ali, les premières élections libres en Tunisie, et, nous le leur concèderons, autant de gouvernements provisoires que de promesses déçues, l’humeur chez les jeunes tunisiens n’est en effet guère à la fête. À première vue, les raisons de ce désenchantement sont on ne peut plus rationnelles, et pour certaines, communes aux pays touchés par la crise: taux de chômage ahurissant chez les jeunes diplômés, économie en berne, pérennité de la corruption, persévérance de la répression policière, liberté d’expression en danger… Pour eux, depuis le 14 janvier 2011, rien n’a changé. Mais peut-être que ce sont EUX qui n’ont pas changé.
La seule chose qui pourrait avoir changé, c’est qu’aujourd’hui le jeune Tunisien, tout comme ses aînés d’ailleurs, donne désormais son avis. Sur tout. Tout le temps. Et avec vigueur. Il rêve un peu plus aussi, sans pour autant être capable, semble-t-il, de se donner les moyens de ses ambitions.
On dirait que les jeunes de moins de 30 ans se refusent à embrasser ce qu’ils ont eux-mêmes initié: le changement.
De New York à Paris, en passant par Athènes et Tunis, on dirait presque que les jeunes de moins de 30 ans se refusent à embrasser ce qu’ils ont eux-mêmes initié: le changement. Inconscients du pouvoir dont ils disposent, ils semblent vouloir s’accrocher à des modèles de réussite et de bonheur hérités de leurs parents, et dont ils n’arrivent pas à se débarrasser. Comme suggéré par Julia Tissier et Arianna Huffington, et si le cordon ombilical que l’on refuse de couper était la vraie cause de tous les maux de cette génération dite “maudite”?
Avec un taux de pénétration Internet qui frôle les 90% chez les jeunes, dont autant sont détenteurs d’un profil Facebook, on peut aisément dire que les Tunisiens de moins de trente ans sont connectés entre eux mais aussi au monde. Dans un pays où partir (même simplement en vacances) peut s’avérer être un vrai parcours du combattant (difficulté d’obtention du visa, taxe de sortie du territoire, prix des vols, cours du dinar…), s’évader via Internet, et voir ce qui passe chez les autres, est devenu vital. Même s’ils sont très centrés sur eux-mêmes dans leur navigation Internet (ce sont les sites tunisiens les plus visités), la fenêtre ouverte sur le monde aura indubitablement ouvert les yeux et l’esprit des jeunes tunisiens.
Un fatalisme presque culturel semble freiner cette jeunesse qui jouit pourtant d’un potentiel énorme.
Pourtant, eux aussi semblent s’accrocher à ce qui leur est le plus familier. En effet, de nombreuses enquêtes ont fait état d’un conservatisme social qui semble immuable, malgré l’adoption de modes de vies et d’aspirations progressistes chez les jeunes. Comme si on se refusait à remettre en question certaines choses. La sacralisation de la virginité, le mariage avant 30 ans, la femme au service de l’homme, avoir un job stable, élever des enfants maritalement… Autant de codes qui ne sont que rarement, certes parfois dangereusement, bravés.
Un fatalisme presque culturel semble freiner cette jeunesse qui jouit pourtant d’un potentiel énorme. C’est comme si elle-même ne croyait pas en elle. Ayant grandi dans un système Ben Ali opaque et avilissant, ceux-là mêmes qui sont sortis manifester le 14 janvier 2011 avenue Bourguiba, ont été les premiers étonnés d’avoir réussi à faire dégager le dictateur. Si de mauvaises langues ont vite fait de leur confisquer la révolution en l’attribuant aux velléités machiavéliques des Américains, c’est surtout l’incompétence et l’absence de pertinence de ceux qui nous gouvernent depuis qui les font tourner en bourrique. Et même si la résistance, notamment à travers la création artistique et la mobilisation de la société civile sont des signes encourageants, j’ai parfois l’impression que le jeune Tunisien est incapable de persévérer, préférant attendre que ça passe et qu’on lui apporte son destin sur un plateau.
Il y a ceux qui ont compris qu’il leur incombe à eux, et à personne d’autre, de créer leurs propres modèles.
Il y a ceux qui s’ennuient et qui rêvent naïvement d’un ailleurs plus vert et plus prospère. Il y a ceux qui sont tellement désespérés qu’ils sont prêts à embarquer sur un radeau de fortune au péril de leur vie. Il y a ceux qui renoncent et trouvent refuge dans l’extrémisme religieux, ne sachant pas quoi faire d’autre.
Et puis il y a ceux qui, comme Houssem Aoudi, jeune entrepreneur, Sarah Arbi, conceptrice rédactrice, Amira Yahyaoui, blogueuse et activiste des droits de l’homme, Sophia Baraket, photoreporter, pour ne citer qu’eux, réussissent à transformer leurs doutes et frustrations en énergie positive et productrice. Même si leurs réussites respectives et l’aboutissement de certains de leurs projets personnels tiennent parfois du miracle, tant l’infrastructure et le contexte socio-politique peuvent se montrer ingrats, ils sont la preuve que c’est possible. Mais ce que j’admire le plus chez eux, qu’ils soient artistes, entrepreneurs, blogueurs, stylistes ou caricaturistes, c’est qu’ils démontrent avec une aisance déconcertante qu’ils peuvent mettre à mal leurs préjugés et leurs propres codes, par curiosité, mais aussi parce qu’ils savent que c’est le seul moyen d’avancer. Car ils ont compris qu’il leur incombe à eux, et à personne d’autre, de créer leurs propres modèles, et en ce sens, eux seuls sont capables d’insuffler un peu d’optimisme à cette génération en mal d’inspiration.
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