Elle s’appelle Laetitia Uzan et signe ses bijoux de son nom. Des manchettes en galuchat, adoubées par la presse féminine, elle a fait sa marque de fabrique. Tête-à-tête avec une créatrice sage comme une image.
On imaginait une créatrice un peu barrée, qui soignerait son extravagance comme d’autres prennent soin de leur caniche nain. C’était avant que Laetitia Uzan nous ouvre la porte de son appartement parisien. Difficile de savoir si ce sont ses cheveux lisses, sa blouse blanche à petits pois noirs ou ses ballerines qui lui donnent cette apparence si disciplinée. Laetitia Uzan est plutôt du genre à se fondre dans la masse, qu’à attirer l’attention. Si l’époque ne récompense pas la discrétion, elle est ici synonyme de douceur et de talent. Depuis trois ans, cette jolie brune aux yeux bleus cernés de khôl crée des bijoux signés de son nom qui suscitent le désir, d’autant plus qu’ils sont distribués en France avec parcimonie. Dans ses collections, on trouve en vrac des serpents, des fleurs de lys et des pierres précieuses ou semi-précieuses à l’image des saphirs ou des améthystes. Le tout monté sur des chaînes en or très fines ou travaillé dans un style Art Déco puisque comme elle dit, elle “aime beaucoup de choses” et réalise “des bijoux très différents les uns des autres”.
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Enfant, Laetitia Uzan passait les grandes vacances à chiner dans les souks marocains en famille.
Pour Laetitia Uzan, la joaillerie n’est pas une marotte venue sur le tard. “Depuis que je suis toute petite, je veux faire des bijoux. Ça a toujours été une vocation”, raconte-t-elle. Il faut dire que son père, antiquaire spécialisé dans l’archéologie, “collectionnait les bijoux anciens marocains”. Enfant, la petite Laetitia passait donc les grandes vacances à chiner dans les souks en famille. “Très jeune, j’ai commencé à porter des bracelets, des bagues et des colliers. Mes parents ne m’encourageaient pas dans cette voie car je ne dessinais pas et ils pensaient que ce métier n’était pas fait pour moi.” Finalement, cette obstinée ne lâche pas l’affaire. Après un Bac ES, elle étudie l’histoire de l’art durant un an. Puis, elle intègre la prestigieuse École de la rue du Louvre “pour apprendre le métier de bijoutier” et l’Institut national de gemmologie pour “étudier les pierres”. Elle ne perd pas de temps puisque dès le premier mois de l’école, la jeune femme dessine et réalise déjà ses premières créations. “Dès qu’elles étaient terminées, il fallait que je les porte!” À l’époque, la finesse n’est pas sa caractéristique première: “Je dessinais des grosses bagues, avec des fleurs ou des papillons; les bijoux étaient lourds à porter et c’était assez ostentatoire. Au fur et à mesure, j’ai affiné mon travail.” Elle se rappelle sa première bague: c’était un “anneau en or rose avec un serpent mais il n’était pas très beau et le jour où j’ai eu besoin d’or, je l’ai fait fondre”. On s’étonne qu’il n’y ait pas eu davantage d’affect mais la fille est comme ça, pas du genre à penser au passé avec le spleen. En revanche, Laetitia Uzan a gardé le bijou qui lui a valu sa première commande. “C’était une bague avec une rose sculptée en corail avec une monture en or rouge, une copine de ma mère a voulu la même, j’étais hyper fière!”
© Pierre Terdjman/Cheek Magazine
Née à Paris, la cadette de la famille -elle a une sœur de deux ans de plus qu’elle- a grandi à Neuilly avant d’habiter le VIIIème arrondissement de Paris. Aujourd’hui, elle a quitté la capitale française pour s’installer à Londres avec son mari, avocat fiscaliste, et son fils de neuf mois. “C’est excitant de partir, de changer de vie”, dit-elle lorsqu’on la rencontre trois semaines avant son départ. Pas vraiment stressée puisqu’aucun carton ne traîne dans l’appartement soigneusement rangé. Et puisque ses bijoux sont déjà vendus au Japon, en Australie, au Liban et en Suisse, elle compte bien développer sa marque en Angleterre. Pour se faire connaître en France, elle est y allée au culot. Et n’a pas mené l’attaque du côté des bijouteries classiques. “Au niveau des prix, je n’étais pas très compétitive au début car mes bijoux étaient fabriqués en France, confie-t-elle. J’étais face à de grandes maisons et je n’avais pas les moyens de me battre.” Laetitia Uzan décide donc de s’atteler à des bijoux plus accessibles. “Du coup, j’ai commencé par des petits bracelets en or rose et en argent noirci.” 300 euros, la pièce: pas donné mais pas inabordable. Et la voilà démarchant elle-même les boutiques qu’elle affectionne. À commencer par Baby Buddha, une boutique de bijoux et d’accessoires branchée du VIIème arrondissement. Karine Hourtoule flashe tout de suite sur les créations de Laetitia Uzan et passe commande.
Ses manchettes en galuchat, qui s’accumulent sur les poignets des connaisseuses, sont devenues sa marque de fabrique.
Mais la jeune joaillère n’a pas l’intention de s’arrêter là et veut “trouver quelque chose de plus original”. Un jour, elle a l’idée d’utiliser le galuchat, un cuir précieux issu des requins ou des raies qui a longtemps été utilisé par les ébénistes avant d’être récupéré depuis par les maroquiniers. Depuis, ses manchettes en galuchat, qui s’accumulent sur les poignets des connaisseuses, sont devenues sa marque de fabrique. Elle achète sa matière première dans une tannerie du sud de la France -les peaux viennent d’Asie mais les teintures sont réalisées dans l’Hexagone- et fait fabriquer à la main en Indonésie car “c’est beaucoup trop cher de faire ça ici”. D’ailleurs, la trentenaire voyage pas mal pour ses affaires: “Je suis toujours à la recherche de nouveaux artisans, en Inde notamment et puis, je pars souvent en Indonésie pour contrôler la production.”
© Pierre Terdjman/Cheek Magazine
À 32 ans, Laetitia Uzan a l’air d’en faire dix de moins. De son allure enfantine, elle se passerait volontiers : “Quand on me dit mademoiselle, j’ai envie de répondre ‘vous savez que je suis maman?’” Du couple qu’elle forme avec Vincent, cette fan de Downton Abbey -“Les costumes sont incroyables”- estime qu’elle est l’élément pertubateur: “Il est très sérieux, et moi je suis la folle. J’évolue dans un univers poétique et je rêve beaucoup…” La folie à l’échelle de Laetitia Uzan est toutefois assez mesurée: “Disons que j’ai une certaine légèreté, une certaine insouciance, mais on peut compter sur moi.” Sinon, cette épicurienne se fout pas mal de la politique, ne lit pas beaucoup de romans et préfère feuilleter les catalogues de chez Sotheby’s ou Christies pour s’endormir le soir. Juive, “pas très pratiquante”, Laetitia Uzan voit avant tout dans la religion un moyen d’être “entourée de sa famille”. Et dans cinq ans ? “C’est bientôt, je ferai sans doute la même chose, j’aurai évolué, j’aurai eu de nouvelles idées”, répond celle qui dit n’être pas “une grande carriériste”. En prenant le risque de la vexer, on lui prédit pourtant une grande carrière.
Julia Tissier
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