Estelle Denis a quitté le journalisme sportif et nous manque. Après avoir été “madame foot” de 1998 -année de la Coupe du monde- à 2008, elle n’a pas encore trouvé de véritable héritière.
Juillet 2012, séquence émotion: Estelle Denis quitte M6, la chaîne qui l’a fait connaître du grand public et des amateurs de football. Si elle abandonne à l’époque son poste dans 100% Mag, c’est son travail dans l’émission 100% foot de 2005 à 2008 qui lui a valu une place dans le cœur des téléspectateurs sportifs. À l’époque aux commandes du programme avec Thierry Roland et Pierre Ménès, la journaliste n’a jamais été une banale animatrice de débats testostéronés. Ni son physique avantageux ni son histoire d’amour avec Raymond Domenech, ancien sélectionneur de l’équipe de France, n’ont remis en cause sa légitimité d’experte, malgré quelques critiques occasionnelles. Sa carrière hors du commun constitue encore un exemple pour les femmes qui veulent parler d’un sport traditionnellement masculin en France, contrairement aux États-Unis où les femmes règnent sur le “soccer”. Pourtant, depuis le départ d’Estelle Denis du journalisme sportif -qui pourrait y revenir à l’occasion de la prochaine Coupe du monde au Brésil– les femmes qui arrivent à imposer leur analyse sur l’actualité sportive sont quasiment inexistantes. Reléguée à la présentation, à l’animation de débats ou à la chronique food comme Nutrition Time de Mariella Tiemann sur BeIN Sport, la présence féminine dans le paysage sportif semble n’être qu’une apparence, que les premières concernées soignent d’ailleurs à la perfection.
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Des candidates compétentes et passionnées
Avec seulement 10% de femmes dans les rédactions sportives, la question du “qui boude qui?” a son importance. Les femmes seraient-elles tout simplement plus réticentes que les hommes à aller vers des rédactions sportives? C’est en tout cas l’argument que les rédacteurs en chef aiment à mettre en avant, Daniel Bilalian en tête. Le directeur des sports de France Télévisions a déclaré dans les colonnes de l’Équipe à l’occasion de la Journée de la femme “rêver trouver des femmes pour commenter le foot”.
“Les candidates sont là, depuis quelque temps déjà. Maintenant, c’est une question de volonté. Et de mentalités.”
Un coup médiatique et démagogique que Karine Henry, journaliste sportive, s’est fait un plaisir de démonter sur le site du Plus Obs. En affirmant s’être à plusieurs reprises portée candidate pour commenter le sport sur France Télévisions, Karine Henry souligne qu’elle n’est qu’un “exemple parmi d’autres journalistes sportives compétentes et passionnées. Les candidates sont là, depuis quelque temps déjà. Maintenant, c’est une question de volonté. Et de mentalités”. Elle rappelle qu’un changement d’état d’esprit est indispensable pour attirer des expertes dans un domaine où la parole reste, le plus souvent, attribuée aux mêmes chroniqueurs ou à d’anciens joueurs.
L’effet foot féminin
À ces postes, les anciennes sportives pourraient bénéficier d’une légitimité à toute épreuve. Mais là encore, on les retrouve très souvent dans des sports traditionnellement féminins et donc peu médiatisés. Cependant la popularité montante du football féminin, porté à la fois par l’équipe féminine lyonnaise plusieurs fois vainqueure de la Ligue des champions et par la retransmission de l’Euro 2013 de football, pourrait être une porte de sortie. Succès médiatique et persévérance de femmes passionnées, les ingrédients pour un nouveau statut de la journaliste sportive? L’élan est timide mais certains médias commencent à prendre conscience que les talents, qu’ils soient féminins ou non, sont fait pour être exploités et mis en avant. Ainsi, après Luis Fernandez et Pierre Menez, des noms comme Nathalie Ianetta aux commandes du Canal Champions Club sur Canal +, Céline Géraud à la présentation de Stade 2 ou encore Jézabel Lemonier sur D8 sont associés à l’expertise footballistique. Cette dernière a marqué l’histoire du journalisme sportif en devenant le 22 août 2007 la première femme à commenter un match de football en direct sur la chaîne de la TNT. Ce match amical entre l’Angleterre et l’Allemagne (1-2), l’experte s’en souvient encore parfaitement tant il a marqué sa vie et sa carrière. Un véritable tremplin pour la journaliste et pour les femmes dans le football.
L’expertise avant tout
Et peu importe qu’il ait fallu attendre le XXIème siècle pour arriver à ce niveau, Jézabel Lemonier l’affirme, elle a toujours travaillé cent fois plus dur que les autres: “Quand on est une femme, on s’attend à ce que son interlocuteur masculin pense être plus calé sur le football. Mais au bout de quelques minutes de conversation, la vérité est rétablie, on se rend vite compte de la différence entre une personne qui a des arguments et peut analyser le jeu et quelqu’un qui a juste été placé là.”
“À la fin de 100% Foot, les téléspectateurs ne se demandaient pas si le gilet d’Estelle Denis était assorti à son pantalon.”
Commentaires de matchs pendant quatre ans, interviews à la sortie des terrains, suivis de nombreuses compétitions masculines et féminines, Jézabel Lemonier a tout fait et ne se voit pas comme une femme qui parle de football mais comme une journaliste avant tout. Et elle estime que c’est valable pour ses consœurs: “À la fin de 100% Foot, les téléspectateurs ne se demandaient pas si le gilet d’Estelle Denis était assorti à son pantalon, il y avait des retours sur ce qui avait été commenté niveau football, et c’est ce qui devrait se passer à chaque fois.” Si le chemin paraît long et sinueux, le fatalisme n’est pas une option pour la journaliste de 36 ans: “On arrive à l’analyse peu à peu, il y a d’anciennes footballeuses comme Sonia Bompastor sur OL TV qui s’imposent et le seul moyen de changer les idées reçues est de mettre à l’antenne des femmes compétentes, qui savent de quoi elles parlent jusqu’au bout des ongles, même si elles ont les ongles peints, car l’un n’empêche pas l’autre.”
Jessica Taïeb
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