Cantat en couv des Inrocks, entamant la promo d’un nouvel album, ça ne pouvait qu’être énorme. Pour la première fois, il parle de Marie Trintignant, dix ans après sa mort. Pour la première fois il revient complètement dans la lumière, après des années d’obscurité en prison. Mais surtout, pour la première fois, Bertrand Cantat n’est plus le chanteur de Noir Désir. A presque 50 ans, il forme désormais le groupe Détroit avec Pascal Humbert. L’histoire du chanteur a eu raison de l’histoire de son groupe historique. Pour cette raison, je ne pense pas comme Imanol Corcostegui qu’ “avec le temps les interviews de Cantat provoqueront moins de remous”. Car à jamais, il trimballera cette équation incompréhensible pour ses fans, nombreux, dont j’ai longtemps fait partie: à la fois leader d’un groupe tel que Noir Désir et meurtrier de son “grand amour”.
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Nous avons été un certain nombre à ne pas encaisser le fait divers, à lui trouver des circonstances atténuantes.
Dans les années 80 et 90, Bertrand Cantat était le charisme personnifié. Comment ne pas tomber sous le charme de cet écorché vif qui trouvait si bien les mots et dégageait une telle énergie? En plus d’être un artiste complet, il avait toujours mis son talent au service de ses opinions engagées, que son public ne pouvait que soutenir. Des sans-papiers à la lutte contre le Front National en passant par une critique acide du capitalisme à la Messier, Bertrand Cantat faisait partie des rares artistes réellement engagés, vibrants, enthousiasmants. Le choc de la mort de sa compagne sous ses coups n’en a été que plus rude. Il était la dernière personne que l’on imaginait violente en privé, malgré la rage de ses textes ou la transe de ses concerts. Il n’y avait pas de crime passionnel qui tienne: Bertrand Cantat ne POUVAIT PAS être cette brute épaisse, tabassant sa compagne comme un vulgaire ivrogne foutrait des raclées à sa femme. Comme quoi, les stéréotypes ne sont pas toujours où on les attend. Nous avons sans doute été un certain nombre à ne pas encaisser le fait divers, à ne pas accepter cette réalité. A être féministes et à lui trouver des circonstances atténuantes. A continuer d’écouter Noir Désir en rappelant à quel point son leader était talentueux. A vouloir à tout prix dissocier l’homme et l’artiste. Mais s’agissant de Bertrand Cantat, c’était quasiment impossible: ses tripes étaient partout où il allait. Pour le meilleur et pour le pire. Et quand le pire est arrivé, cela a été compliqué.
Quand on tue sa compagne de ses mains, on devient, qu’on le veuille ou non, le symbole de la violence contre les femmes.
Ce qui me frappe dans le choix de couv des Inrocks ou dans l’édito de Rue 89, c’est à quel point le déni est encore puissant dix ans après. On sent encore tellement le manque d’objectivité de fans qui n’ont pas fait leur deuil. Car Les Inrocks et Noir Désir, c’est une longue (et compréhensible) histoire d’amour. Sauf que Noir Désir c’est du passé. Bien sûr que Cantat a purgé sa peine, bien sûr qu’il est compliqué de lui interdire de continuer à écrire et chanter –c’est son métier après tout, et en France, on encourage plutôt la réinsertion des ex-détenus. Mais ce n’est pas une raison pour balayer tout le reste d’un revers de main. Bien sûr qu’il reconnaît avoir “commis l’irréparable”. C’est vrai, et on se doute qu’après avoir battu à mort sa petite amie, la vie ne doit pas être une partie de plaisir. Bien sûr qu’il restera à jamais rongé par la culpabilité: qui ne le serait pas? Il ne faut pas l’accabler, mais il ne faut pas le dédouaner non plus. Non, les soupçons qui pèsent sur Cantat dans le suicide de Kristina Rady ne sont pas jetés sur lui d’une “manière douteuse”. Le message téléphonique qu’elle a laissé quelques semaines avant sa mort sème en effet le doute, mais pas dans le bon sens. Peut-être que sa mort n’aura été qu’un malheureux hasard, peut-être qu’elle ne sera jamais élucidée, mais le doute est suffisamment permis pour rouvrir une enquête. Cela n’a rien à voir avec un acharnement des médias, il s’agit là de Justice. Par ailleurs, quand on tue sa compagne de ses mains, on devient, qu’on le veuille ou non, le symbole de la violence contre les femmes. Il n’y a rien d’abject là-dedans.
Cantat est certainement la cible d’un système médiatique et des paparazzis, mais il sait aussi en bénéficier de ce système, puisqu’il est en couverture d’un magazine qui lui consacre cinq pages d’interview. Probablement à la hauteur de son talent d’artiste, car à n’en pas douter son prochain album sera brillant, comme tous les autres. Mais la responsabilité des journalistes est justement de faire tant que possible la part des choses et de ne pas se laisser dépasser par leur affect. Et la victime dans l’histoire ne sera jamais Cantat.
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