En 2003, l’actrice Marie Trintignant meurt sous les coups de Bertrand Cantat.
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En 2010, Kristina Rady s’est pendue, et son fils, 12 ans, l’a découverte alors que Bertrand Cantat se trouvait dans la maison.
Le message téléphonique que Kristina Rady a laissé sur le répondeur de ses parents, six mois avant son suicide, trahit sa peur: l’emprise psychologique dont elle est victime, les violences tant psychologiques que physiques qu’elle subit, qui sont devenues “intenables”.
Pendant sept minutes, dans ce message, Kristina décrit l’enfer psychologique qu’elle subit. Elle sait déjà que son état psychique ne lui permet plus de fuir celui qui la menace de se suicider si elle part. Elle sait qu’il est déjà trop tard pour partir “faute d’être encore en état de le faire”. Elle a peur, elle “ose à peine respirer”. “Hier, j’ai failli y laisser une dent”, “Bertrand est fou”, “Déjà, à plusieurs reprises, j’ai échappé au pire”, “On ne peut s’en sortir saine et sauve”, “Il sera trop tard pour fuir faute de pouvoir le faire”, “Voilà, c’est tout, j’espère qu’on va pouvoir s’en sortir et que vous pourrez encore entendre ma voix, et sinon, alors, vous aurez au moins une preuve que… mais des preuves il y en a.” Elle ne vit déjà plus. Elle est déjà morte psychiquement. Bertrand Cantat l’aurait-il déjà tuée dans son âme, dans son esprit, sans que d’autres causes ne soient jamais alléguées?
Qu’a fait la justice? Dès le lendemain de sa mort, le 11 janvier 2010, un magistrat du parquet de Bordeaux entérine la thèse du suicide. À la question posée par un journaliste “Bertrand Cantat a été auditionné hier, n’est-ce-pas?”, le magistrat répondra: “Exactement. Comme d’autres proches de son ex-femme. Ni plus, ni moins.”
Il aura fallu 24 heures au Parquet pour exclure toute autre hypothèse que le suicide, et ce alors même que Bertrand Cantat est encore sous contrôle judiciaire pour avoir tué une femme de ses poings.
Il est fondamental de rappeler qu’au moment où Bertrand Cantat est auditionné, il est toujours en liberté conditionnelle, susceptible d’être incarcéré au moindre faux pas. Alors même qu’il a été condamné le 29 mars 2004 à Vilnius, pour un “meurtre commis en cas d’intention indirecte indéterminée”, pour avoir infligé au total dix-neuf blessures à Marie Trintignant, sept résultant de coups à la tête ayant entraîné l’irréversible coma. Il sera auditionné, ni plus, ni moins…
Il aura donc fallu 24 heures au Parquet pour exclure toute autre hypothèse que le suicide, et ce alors même que Bertrand Cantat est encore sous contrôle judiciaire pour avoir tué une femme de ses poings, et qu’à la lumière de toutes les révélations qui ont été faites depuis ce drame, tout porte à croire que Kristina Rady a été victime de violences tant psychologiques que physiques, thèse qu’une simple enquête de voisinage aurait permis de confirmer. À la lumière du message laissé par Kristina, qui apparaît comme une audition de victime, comme une plainte posthume, une question se pose, s’impose: Kristina a-t-elle été acculée au suicide? Cette question ne peut demeurer sans réponse.
Si la justice reste aveugle et sourde, il est de notre devoir moral et citoyen de nous insurger contre cette passivité, cette inertie, en dénonçant tous faits de violences pour sauver des vies, ou tous suicides qui sembleraient être la conséquence directe des violences, parce que la justice n’est pas qu’une institution, elle est aussi la mémoire des victimes.
Lorsqu’une victime est acculée au suicide, on peut, on doit parler de “suicide forcé”.
En tant que citoyenne, féministe, et comme le permet l’article 40 du code de procédure pénale (“Le Procureur de la République reçoit les plaintes ET dénonciations et apprécie la suite à leur donner”), j’ai signalé au parquet de Bordeaux, dès le mois de juillet, ce qui apparaît clairement comme un élément nouveau permettant l’ouverture d’une nouvelle enquête: le message laissé par Kristina Rady. J’indiquais au Parquet qu’à l’examen très attentif de ce message, Kristina Rady apparaissait privée de toute perspective d’échapper à cette violence et qu’il n’existait plus qu’une seule issue: mettre fin à ses jours. Je me félicite donc que l’enquête ait été rouverte la semaine dernière. Lorsqu’une victime est acculée au suicide, on peut, on doit parler de “suicide forcé”.
Ce crime peut et doit être condamné aujourd’hui sur le fondement “des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner”, prévues par l’article 222-7 du code pénal et punies de quinze ans de réclusion criminelle. Cette motivation implique que la mort de la victime ait procédé des violences volontairement commises à son encontre et ne soit pas due à une cause étrangère à celles-ci. Les violences peuvent être physiques mais également morales et psychologiques. Telle est la définition du suicide forcé.
Alors même que les suicides dûs au harcèlement moral dans le droit du travail sont aujourd’hui reconnus, il doit en être de même dans la sphère privée. Pourquoi serait-ce plus complexe d’admettre un lien de causalité direct entre les violences psychologiques subies par une victime et son suicide au sein du couple que sur son lieu de travail?
Bertrand Cantat a-t-il conduit à cette situation par les mots, en étouffant Kristina Rady dans une impitoyable geôle dont les barreaux sont matérialisés par la peur, celle qui paralyse au point de couper l’être de l’ensemble de ses repères éthiques et affectifs, et qui conduit à la plus grande des solitudes, sans aucune autre issue que de mettre fin à ses jours?
C’est à cette question que doit répondre la Justice, qui se doit d’honorer la mémoire des victimes.
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