Célébrée par Nick Cave et Brian Eno, l’Anglaise Anna Calvi avait coupé le souffle à tout le monde en 2011 avec un premier album incandescent. Avec One Breath, disque tout aussi puissant et gracieux, elle place la barre encore un peu plus haut. On a parlé musique et féminisme avec cette artiste de génie qui, dans la vraie vie, chuchote plus qu’elle ne crie.
Comment qualifierais-tu les deux années que tu as passées depuis la sortie de ton premier album?
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Chargées. J’ai beaucoup tourné, puis j’ai passé un an à écrire et enregistrer ce nouveau disque.
Tu as l’impression d’avoir changé pendant cette période?
Le fait d’avoir une carrière à proprement parler m’a sans doute rendue plus forte. C’est difficile de ne pas être signée et de garder son énergie intacte sans rien avoir en retour. Quand on commence à récolter les fruits de son travail, tout devient plus simple.
Qu’as-tu appris sur la musique et sur toi-même?
Je suis devenue meilleure musicienne à force de tourner. Et je comprends mieux maintenant le processus d’enregistrement, ce qu’il faut faire et ne pas faire. J’ai tendance à être obsédée par certains détails minuscules, ce qui me freinait beaucoup avant. J’étais capable de procrastiner et de tourner en rond indéfiniment. Maintenant, je sais que je dois faire attention à ça.
Tu veux dire que sur cet album il y a des chansons dont tu n’es pas satisfaite dans le moindre détail?
Non, rien à voir, jamais de la vie! Mais j’ai mis deux ans et demi à venir à bout de mon premier album, et je m’aperçois que j’aurais pu le faire dans un laps de temps beaucoup plus court. J’étais obsédée par des choses que personne n’entendra jamais.
Qu’est-ce que tu as cherché à améliorer par rapport à ton album précédent?
Les paroles ont plus d’importance sur One Breath, elles sont plus profondes et parlent davantage de mes propres expériences. C’est un disque plus personnel.
On dit souvent que tu es mystérieuse: est-ce qu’en écoutant tes paroles attentivement, on en apprend plus sur toi?
(Sourire.) Garder le mystère me semble important, je ne suis pas du genre à faire de grandes confessions. Cela dit, je pense que la musique que je fais actuellement est plus proche de ma personnalité qu’elle ne l’était il y a quelques années. Sur mon premier album, je voulais me présenter comme une personne forte alors que sur celui-ci, je laisse place à plus de vulnérabilité. C’est une photo de moi un peu plus réaliste.
On dirait que tu as aussi cherché à insuffler davantage de modernité à ton écriture. Un morceau comme Piece By Piece, par exemple, est assez expérimental. La modernité, c’est un enjeu pour toi?
Je cherche surtout des arrangements et des textures qui soient originaux, si on peut dire. La modernité, c’est une notion que j’ai du mal à définir, je n’y pense pas.
Ta musique donne l’impression d’évoluer dans un univers parallèle, sur lequel le monde extérieur ne semble pas avoir de prise. À quel point es-tu perméable à ce qui se passe autour de toi?
Pour un auteur, il me semble extrêmement important de s’ouvrir à toutes les sources d’inspiration possibles. Je me balade généralement avec un carnet de notes dans lequel je consigne des idées. Ça peut provenir de bribes de conversations que je capte, de choses auxquelles je rêve éveillée, d’expositions ou de films que je vois, de la musique que j’écoute. Je me tiens aussi au courant de l’actualité via les journaux, car je n’ai pas la télé.
Quelle relation entretiens-tu avec la technologie?
Une relation distante. Je ne l’utilise que si j’en ai besoin, mais je n’y suis clairement pas accro. J’ai le logiciel Pro Tools sur mon ordinateur mais je ne me sers que des fonctions de base. Et j’enregistre parfois sur du vieux matériel à bandes, ça dépend.
Et au quotidien, tu te sers des réseaux sociaux?
J’ai un compte Twitter mais ce n’est pas mon genre de me répandre sur tout et n’importe quoi, et ça ne collerait pas non plus à la musique que je fais. Je ne me sers des réseaux sociaux que quand j’ai quelque chose d’important ou d’intéressant à dire, sinon j’essaie de limiter mes interventions.
Et est-ce que tu suis ce qui s’y passe? Si je te dis Miley Cyrus par exemple, ça te parle?
(Sourire.) Oui, oui.
Tu as dit dans le Guardian que tu étais féministe. De ce point de vue-là, que penses-tu des réactions que toute cette affaire suscite?
J’ai beaucoup aimé la lettre ouverte qu’a écrite la musicienne Amanda Palmer sur son blog en réponse à Sinead O’Connor. J’ai trouvé son point de vue vraiment juste et intéressant. Elle y explique que dire à quelqu’un d’aller se rhabiller de manière infantilisante ne fait pas avancer les choses. Tout est une question de choix et Miley Cyrus ne devrait pas être jugée là-dessus. Si elle veut se mettre à poil, qu’elle le fasse! Le corps féminin fait l’objet de tant de débats, tout le monde a un avis sur la question. Ce n’est pas le cas pour les hommes; ils font ce qu’ils veulent et tout le monde leur fout la paix.
Tu n’es donc pas une adepte du slut-shaming…
“Slut” (ndlr: “salope”) est un mot terrible, qui devrait être banni de notre vocabulaire. Si une femme veut coucher avec plein de gens, c’est son droit. Personne ne devrait juger autrui sur ce qu’il ou elle fait de son corps. Et je ne crois clairement pas qu’une femme mérite d’être traitée de salope parce qu’elle se met toute nue. C’est le monde autour qui a un problème avec la nudité, pas elle.
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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