Du mulet à la crête en passant par le crâne rasé et les colorations improbables, les footballeurs se font parfois davantage remarquer pour leurs fantaisies capillaires que pour leur jeu. Que révèle ce goût immodéré pour les ciseaux et autres tondeuses?
Qui a déjà regardé un match de foot s’est forcément posé une ou plusieurs de ces questions. Pourquoi cet attaquant est-il systématiquement hors-jeu alors que c’est la seule chose à laquelle il doit faire attention ? Pourquoi celui-là se jette-t-il au sol de toutes ses forces en poussant des hurlements alors qu’il est évident que son adversaire ne l’a pas touché ? Pourquoi avoir tenté de tirer au but alors qu’un coéquipier était mieux placé ? Et pourquoi cette coupe de cheveux ?
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Qu’il s’agisse de la fameuse coupe mulet de Chris Waddle, l’afro blonde de Carlos Valderrama, des cheveux peroxydés du David Beckham de la grande époque ou des tresses blanches de Bacary Sagna (le fruit d’un pari avec son père), les choix capillaires des footballeurs donnent matière à bien des interrogations. En témoignent les très nombreux portraits consacrés récemment à Gérald Lerandy alias Barber Gé, le coiffeur en vogue de la Ligue 1, et l’édition d’une anthologie en plusieurs volumes des coiffures de footeux.
Révolution sixties
Pourtant, la fantaisie n’a pas toujours été la règle dans le football. Avant les années 60, les joueurs étaient tous coiffés sur le même modèle: une brosse courte, d’inspiration militaire censée évoquer une armée disciplinée et soudée, selon la psychologue Karine Teepe. Puis les sixties sont passées par là. A mesure que les mœurs se libéraient, les cheveux poussaient. Particulièrement ceux des footballeurs qui, n’ayant pas à se plier aux mêmes règles que les employés de bureau, ont pu briser le tabou imposé quatre ou cinq générations plus tôt interdisant aux hommes de s’occuper de leurs cheveux. Dans le sillage de l’Anglais Charlie George, les ancêtres de la coupe mulet ont alors fait leur apparition.
Dans la foulée de la libération capillaire, les années 1970 et surtout 1980 voient l’avènement du “sport spectacle”. Les joueurs et leurs équipes doivent désormais avoir une identité propre, une histoire à raconter. Prendre soin de son apparence fait partie des obligations professionnelles du footballeur, qui n’a jamais été aussi médiatisé. Son image est une partie du “spectacle” qu’il offre sur le terrain, estime Karine Teepe. Et comme sa tenue, ainsi que son mode de vie, lui sont imposés, il marque sa différence par sa coupe de cheveux. “Dans les stades, les footballeurs sont les rois, poursuit la psychologue. On attend d’eux une certaine ostentation. Difficile de courir avec une couronne sur la tête. Par contre, avec une crête… ”
Une démarche identitaire
Les psychanalystes, explique Karine Teepe, font un lien entre les coiffures et les tatouages -second signe distinctif des footballeurs: “Ils sont un blason. Ils disent “je viens de là” ou encore “je suis ceci ou cela”. Une coupe de cheveux peut donc aussi être un moyen de revendiquer une “filiation footballistique”. Ainsi, Jérémy Ménez et Pierre-Emerick Aubameyang, certainement les deux joueurs aux coupes de cheveux les plus extravagantes de la Ligue 1, ont adopté des crêtes hyper stylisées proches de celle du jeune prodige brésilien Neymar. Serait-ce une manière de revendiquer un peu du jeu exubérant de l’attaquant brésilien, deuxième meilleur buteur du monde en 2012 derrière Lionel Messi ?
La crête est d’ailleurs aujourd’hui la coiffure la plus répandue sur les terrains, et pas seulement dans l’Hexagone. Il n’y a qu’à voir les joueurs de l’AC Milan emmenés par Stephan El Shaarawy. Pourquoi ? Barber Gé, qui compte une vingtaine de footeux parmi ses clients, a taillé des centaines de crêtes ces dernières années. Il a logiquement son avis sur cette mode: “Il y a cinq ou six ans, la crête a révolutionné la coupe homme. De l’enfant de quatre ans à l’adulte, elle plaît à tout le monde. Elle offre aussi énormément de possibilités différentes: longueur, sculpture sur crâne…”. Mais pour certains, il ne s’agit pas seulement d’esthétique. “Il y a aussi quelque chose de plus psychologique. Pour Pierre-Emerick Aubameyang (ndlr: son meilleur client), c’est l’expression de l’aérodynamisme, comme un aileron de requin. Avec sa crête, il a l’impression d’aller plus vite.”
“Certaines coiffures sont peut-être conçues pour faire peur, pour exacerber la virilité ou la dangerosité d’un joueur.”
Show capillaire
Des mecs lookés sur les terrains, d’accord, c’est l’un des ingrédients du spectacle. Mais pourquoi adopter des coiffures pas vraiment esthétiques? Car, soyons honnêtes, il est difficile de trouver de l’attrait aux tresses vertes de Taribo West ou à la micro-crête doublée de sculptures sur crâne de Mario Balotelli. “Avant d’être moches ou non, ces coiffures sont surtout spectaculaires, tempère Karine Teepe. Certaines coiffures sont peut-être conçues pour faire peur, pour exacerber la virilité ou la dangerosité d’un joueur. Si vous les croisiez à minuit dans une ruelle sombre, vous vous diriez “qui est ce fou’”, non ?”. Tel serait donc l’effet recherché sur le terrain. Impossible ici de ne pas penser à la queue de cheval devenue chignon de Zlatan Ibrahimovic. Quand il l’a adoptée, ses détracteurs y voyaient une queue de poney et, pourtant, elle est devenue l’ingrédient clé de son image de géant des steppes dont le jeu est parfois plus proche du sport de combat que du football.
Alors, un changement de coiffure peut-il à lui seul faire ou défaire une carrière ? Non, assure Karine Teepe. Une nouvelle coupe de cheveux ne rendra pas un joueur meilleur, elle peut par contre être le signe extérieur d’une prise de conscience, d’un changement dans sa personnalité. Surtout, elle est un bon moyen de faire parler de soi. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui, dans quelques années, se souviendront davantage des coupes de cheveux de David Beckham que des buts qu’il a marqués.
En fait, ce sont plutôt les footballeurs qui font la “carrière” d’une coupe de cheveux. Le meilleur exemple est probablement celui de Fabien Barthez, qui est parvenu à donner ses lettres de noblesse au crâne rasé, jusque-là perçu -héritage des mythes de David et Goliath ou Samson et Dalila- comme un signe de mauvaise santé, d’absence de virilité. Dans un genre encore moins conventionnel, Djibril Cissé, lui, a popularisé les teintures de toutes les couleurs et la sculpture sur crâne.
Toujours aussi prisée des joueurs, la crête sous toutes ses formes a encore de beaux jours devant elle, estime Barber Gé. Mais celle-ci va évoluer. “J’ai lancé une tendance, un 3/4 de crête, qui part du front et arrive à mi-chemin entre le cou et le sommet du crâne, avec un fondu de nuque”, prévient l’expert. On a hâte de voir.
Raphaëlle Peltier
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