Une semaine qu’elle a commencé, et l’expo Bettina Rheims de La Maison européenne de la photographie fait déjà salle comble à Paris. Des people aux transgenres en passant par les femmes détenues, la photographe explore toutes les facettes des femmes.
Imposantes et provocantes, mystérieuses et troublantes, les femmes captées par l’objectif de Bettina Rheims attirent irrésistiblement l’œil qui les observe, les scrute, les reluque parfois. L’exposition que consacre la Maison européenne de la photographie (MEP) à la photographe française jusqu’au 27 mars regroupe 180 clichés sélectionnés dans l’ensemble de sa carrière. L’occasion de (re)découvrir ses illustres photos pour les magazines de mode, sa série culte Chambre close, ou sa dernière inédite sur les femmes détenues en prison.
Cette exposition, qui n’est pas à proprement parler une rétrospective, semble avoir été conçue comme un parcours dans l’œuvre de Bettina Rheims. Ici, les époques se mélangent et les modèles se croisent. À travers ses photographies monumentales, qu’elles s’inscrivent dans des compositions glamour, kitsch ou épurées, Bettina Rheims casse les codes de l’érotisme, bouscule les stéréotypes et interroge l’identité. Trois bonnes raisons de se plonger dans cette exploration.
Une obsession pour les femmes
Monstres sacrés du cinéma, icônes de la mode et de la musique, elles sont presque toutes là. Madonna, provocante, étendue sur le sol d’une chambre, Monica Bellucci affolante, robe en cuir rouge devant une assiette de spaghettis, Mary J. Blige éblouissante en Versace, ou encore Laetitia Casta lascive dans un bain de tulle. Plusieurs portraits de Charlotte Rampling, muse et amie de la photographe, viennent rythmer la visite. Des photos pour la plupart réalisées pour des magazines ou des campagnes de publicité.
Face à elles, des inconnues toutes aussi subjuguantes. Il y a les anonymes dévêtues de Chambre Close immortalisées au début des années 90, ou celles de sa dernière série inédite, datant de 2014. Pour la première fois exposées au public, ces photos de femmes incarcérées dans les prisons françaises ont été prises sans artifice ni mise en scène. Des portraits bruts. L’expression des visages, l’intensité des regards et les postures font réfléchir aux parcours de ces femmes. D’elles, on ne sait rien, on ne peut que supposer. Les légendes sont minimales et ne fournissent que quelques indices. Qu’elles soient icônes ou inconnues, les femmes photographiées par Bettina Rheims demeurent insaisissables.
© Bettina Rheims
Un travail sur le genre et l’identité
“Je ne me définis pas”, “Je préfère rester vrai”, “J’aime cet entre-deux”, “Je crois que ça fait peur aux gens”. Avec la série Gender studies (2012), Bettina Rheims donne la parole à ses modèles transsexuels. Devant leurs portraits, les voix enregistrées en audio nous confient leurs pensées. Sur fond blanc, les corps se dévoilent. Les peaux sont laiteuses, certaines cicatrices visibles. La photographe révèle des beautés contemporaines qui instaurent des canons de beauté alternatifs, comme celle du mannequin Andreja Pejic.
Avec ces clichés, elle questionne le genre et interroge la société sur sa définition du masculin et du féminin. Déjà, à la toute fin des années 80, bien avant l’engouement actuel pour ces questions, Bettina Rheims captait les attitudes androgynes dans sa série Modern Lovers et s’intéressait à l’identité sexuelle. Parmi ses modèles adolescents figurait une certaine Kate Moss.
Un érotisme omniprésent
Faire l’amour pendant 24 heures, voici la consigne donnée par la photographe aux femmes qu’elle avait invitées dans une chambre vide. Le résultat photographique est un peu caché dans une pièce dérobée du musée et emmène le spectateur au plus près de l’expérience, cultivant l’image porno chic qu’on associe souvent au travail de Bettina Rheims. À l’inverse, dans Just like a woman, on arrive juste après l’amour: plusieurs femmes étendues sur des lits, torse nu, les joues rougies, portent sur leur peau des traces laissées par un corset défait, une bretelle de soutien-gorge détachée. Là, le plaisir est mis en scène, simulé.
Enfin, devant Chambre close, on se glisse dans la peau d’un voyeur et on mate. Pour réaliser cette série audacieuse dans les années 90, Bettina Rheims a interpellé des femmes dans la rue et leur a demandé de l’accompagner dans une chambre d’hôtel miteuse pour lui dévoiler une partie de leur corps. On se retrouve donc à regarder, sur fond de papiers peints fleuris cheap, sexes, fesses, cuisses, immortalisées dans des positions suggestives. Des mises en scène esthétiques et joyeuses, dans lesquelles Bettina Rheims se jouait déjà des codes de l’érotisme.
Aude Lambert