Révélée au public au milieu des années 2000 avec son rôle dans Flight of the Conchords, la comédienne brille désormais dans la série dystopique de Will Forte The Last Man on Earth. Retour sur le parcours d’une humoriste définitivement à part.
Elle a une parka rose et blanche, la bouche entrouverte, des yeux globuleux légèrement flippants, un t-shirt imprimé maison et un rire qui instaure immédiatement un léger malaise. Dès les premiers épisodes de Flight of the Conchords sur HBO, Kristen Schaal impose son personnage comme l’un des plus singuliers des années 2000. Mel, c’est son nom, devient un véhicule d’expérimentation pour toutes les bizarreries de Schaal, pour ses airs ahuris et le timing si particulier de ses blagues. La série raconte les aventures de Jemaine Clement et Bret McKenzie, un duo de chanteurs plutôt décalés qui débarquent de Nouvelle-Zélande pour tenter leur chance à New York. Mel, c’est la première -et seule- fan transie de Bret et Jemaine. Son personnage repose sur un running gag: à chaque épisode, elle attend les deux musiciens en bas de son immeuble et s’étonne de les croiser. Elle se pointe à chaque concert, portant des t-shirts imprimés par ses soins pour applaudir ses idoles. Partout, elle est flanquée de son mari Doug, un gentil garçon qui la suit même dans ses embarrassants exercices de drague. Exit la groupie glam façon Presque célèbre, Kristen Schaal impose un nouveau tempo, aux antipodes de tous les stéréotypes féminins. Gênante. Bizarre. Et fière de l’être.
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Bizarre et quirky
Retour en arrière. Sept ans avant de croiser la route de Jemaine Clement et Bret McKenzie, Schaal débarque elle aussi à New York pour tenter sa chance et se faire un nom sur les scènes de stand-up. Elle a laissé derrière elle sa vie rurale dans le Colorado et la ferme de ses parents. Comme elle le racontait à David Letterman en 2010, les vaches de son élevage ont été un fidèle premier public, l’entraînant au léger air d’ennui qu’arborent parfois les amateurs de comédie.
Elle joue comme personne des lenteurs et des pauses. Quitte à laisser un silence gênant juste avant une punchline ou à regarder son public dans les yeux pendant de longues secondes.
Dès ses débuts, elle expérimente sa fibre bizarre et “quirky”. L’adjectif, intraduisible, évoque un mélange de folie et de bizarrerie attachante et il est souvent accolé aux “manic pixie dream girls” et plus spécialement à Zooey Deschanel. Mais Schaal, elle, est vraiment bizarre. Quand elle écrit, elle ne joue pas sur la mignonnerie mais s’inspire du plus étrange des comiques américains, le grand Andy Kaufman, qui a marqué pour toujours le genre. Elle joue comme lui de l’absurde et d’un certain surréalisme, n’hésitant pas à se lancer dans des délires médiévaux en plein milieu d’un sketch, à amener une cage d’oiseau vide comme accessoire de scène ou à hurler sans raison au milieu d’une vanne. Est-elle elle-même ou son personnage? Le doute subsiste toujours. Elle joue comme personne des lenteurs et des pauses. Quitte à laisser un silence gênant juste avant une punchline ou à regarder son public dans les yeux pendant de longues secondes. Dans un Q&A à Reddit, elle explique que “les blagues surréalistes sont celles qui [lui] réussissent le mieux”. Peu de gestuelle, beaucoup de regards, une énorme dose d’absurde: la formule Schaal est née.
Avec Will Forte dans The Last Man on Earth © Jordin Althaus / Fox
Une autre Vénus de Botticelli
En marge de Flight of the Conchords, Schaal prête sa voix unique, capable de passer de la plus grande douceur au cri le plus rauque, à des films et séries d’animation (Toy Story 3, Tempête de boulettes géantes 2, Bob’s Burger…). Tous ses personnages, chacun à leur manière, dynamitent ce que l’on attend d’une femme à la télévision. Le Daily Show sur Comedy Central l’invite d’ailleurs à être sa “Senior Women’s Issues Correspondent” (“correspondante spécialisée dans les problèmes des femmes senior”). Face à Jon Stewart, elle déroule régulièrement la liste des injustices faites aux femmes. Les pieds sur la table et un cigare dans la bouche, elle singe les patrons qui font passer des entretiens à de jeunes femmes. Elle se moque de la mode du “dad bod”, des costumes sexy d’Halloween, tâcle le manque d’égalité salariale… “On va imprimer des cœurs artificiels en 3D trente ans avant d’avoir atteint l’égalité salariale!”, éructe-t-elle sur le plateau.
Dans une interview, elle affirme volontiers qu’elle détesterait être “la fille parfaite”. Elle préfère s’afficher en parodie de la Vénus de Botticelli sur la couverture de son livre de conseils sexuels, The Sexy Book of Sexy Sex, chaussettes montantes et culotte blanche taille haute. C’est probablement Will Forte, un ex du Saturday Night Live, qui lui a offert avec sa série dystopique The Last Man on Earth (diffusée depuis 2015 sur la Fox) le rôle le plus entier de sa carrière. À 38 ans, Kristen Schaal trouve dans le personnage de Carol la somme de tout ce qu’elle a expérimenté: l’excentricité, la tendresse et bien sûr son sens de l’absurde. La série raconte, comme son nom l’indique, les aventures du dernier homme sur terre. Sans révéler toute l’intrigue de l’histoire, qui n’est pas avare en rebondissements, Carol devient sa moitié par nécessité. Elle est exigeante, très premier degré, s’habille bizarrement, aime customiser des t-shirts et est hilarante malgré elle. Et très sûre d’elle. “Je suis hot à ma façon”, disait fièrement Schaal à Conan O’Brien en 2012.
Moins trash qu’Amy Schumer, plus absurde que Tina Fey ou Amy Poehler, Kristen Schaal n’a pas fini de tracer son propre sillon en marge de ses contemporain.e.s. Cette année, elle partagera l’affiche avec une autre géniale actrice américaine, Melissa McCarthy, pour The Boss. Une nouvelle preuve, s’il y en avait besoin, que les filles de la comédie ont définitivement ce qu’il faut pour prendre le pouvoir à Hollywood.
Pauline Le Gall
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