Audrey Noeltner et Julien Fernandez, de l’association Womenability, s’apprêtent à faire un tour du monde de 25 villes pour travailler à une métropole plus mixte.
Womenability, c’est le nom de cette association qui a décidé de s’attaquer à un chantier de grande envergure: rendre la rue aux femmes. À l’origine de cette aventure, trois jeunes vingtenaires: Audrey Noeltner, 28 ans, Charline Ouarraki, 26 ans, toutes les deux urbanistes et Julien Fernandez, 25 ans, planneur stratégique -très vite rejoints par trois autres personnes également séduites par le projet. Ils se sont rencontrés dans une pépinière d’entreprises à La Courneuve et retrouvés autour d’un même constat: la ville n’est pas suffisamment pensée pour les femmes. Eux aspirent à faire de la mixité femmes-hommes une réalité dans l’espace urbain.
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L’objectif de Womenability est simple mais ambitieux: “On veut créer une charte internationale pour une ville plus mixte”, explique Audrey Noeltner. Et pour y parvenir, ils ont l’intention de faire le tour du monde de 25 villes en 9 mois. “On a regardé, parmi les 400 plus grosses villes dans le monde, lesquelles étaient dirigées par des femmes, raconte-t-elle, on en a trouvé seulement 40 et on a fait notre choix parmi elles.” Au programme, entre autres, Paris, Prague, Zurich, Baltimore, Houston, Rosario, Montevideo, Wellington, Yokohama, Libreville ou encore Madrid. Le départ est prévu le 5 mars.
“Nous voulons sensibiliser les hommes aux problèmes auxquels peuvent être confrontées les femmes dans la rue.”
Pour financer ce projet, l’association a reçu une subvention de la fondation suisse Pro Victimis et a lancé mi-janvier une campagne de crowdfunding sur HelloAsso pour réunir les fonds manquants. Ils leur serviront notamment à organiser des “marches exploratoires”: “C’est un processus né dans les années 90 au Canada, explique Audrey Noeltner, il s’agit d’aller dans la rue avec un groupe de femmes et de répondre à des questions simples de type ‘est-ce que je peux être vue d’ici?’, ‘est-ce que je peux être entendue par quelqu’un?’, ‘est-ce que l’éclairage ici est suffisant?’” De son côté, l’équipe de Womenability a décidé de réaliser des marches exploratoires mixtes afin de “sensibiliser les hommes aux problèmes auxquels peuvent être confrontées les femmes dans la rue”. L’idée étant de s’intéresser non pas seulement au sentiment d’insécurité ressenti par ces dernières mais à tous les aspects de leur vie quotidienne dans l’espace public, qu’il s’agisse de “faire du sport” ou de “se déplacer avec son enfant”, précise Audrey Noeltner.
La campagne de crowdfinding de Womenability
À l’issue de leur tour du monde, Audrey Noeltner et Julien Fernandez -ils partent à deux pour limiter les coûts- espèrent récupérer suffisamment de “bonnes pratiques” déjà mises en place ailleurs dans le monde afin d’améliorer la vie des femmes dans l’espace urbain pour ensuite “former les gens et engager les acteurs politiques”. On a posé 4 questions à Audrey Noeltner.
La rue est-elle est le fief exclusif des hommes?
Peut-être pas exclusif mais la rue est en effet majoritairement faite pour les hommes. Il suffit de regarder les équipements publics pour faire ce constat. Par exemple, je travaille au métro Jaurès à Paris et, quand je sors de mon bureau, je tombe sur un terrain de street gym utilisé à 80% par des hommes. Ensuite, quand je traverse la rue, je tombe sur un skate park et un terrain de basket qui sont, eux aussi, occupés uniquement par des hommes ou presque. Ce n’est pas que les femmes ne font pas de sport mais elles ne se sentent pas les bienvenues dans ces endroits. D’ailleurs, dans la rue, les femmes ne s’arrêtent pas, elles vont d’un point A à un point B. C’est une façon, entre autres, d’éviter le harcèlement de rue. L’autre jour, j’ai pris mon vélo et j’ai croisé un homme qui m’a saluée avant de sortir sa langue et de faire comme s’il me léchait. Quand une femme utilise l’espace public, elle est vite rappelée à l’ordre, on lui fait comprendre qu’elle n’est pas la bienvenue.
La ville est-elle pensée par et pour les hommes?
Ce sont les urbanistes qui pensent la ville. Le métier se féminise mais encore aujourd’hui, les ingénieurs et les urbanistes sont majoritairement des hommes. J’ai moi-même suivi des études d’urbanisme, j’ai eu seulement deux femmes professeur et la question du genre a été abordée une seule fois en cinq ans de cursus. Il faut construire et penser des villes pour tous, en n’oubliant ni les enfants, ni les femmes, ni les personnes âgées. Les urbanistes doivent en prendre conscience. C’est pour cette raison qu’on organise des marches exploratoires avec des hommes car ils sont des acteurs nécessaires du changement.
“Il faut en finir avec les publicités sexistes, mettre en avant le street art féminin ou encore encourager les femmes à faire du sport dans la ville.”
À quoi doivent faire face les femmes dans l’espace public ?
Il y a plusieurs choses. D’abord, une difficulté dans la mobilité. Dans 80% des cas, c’est la mère qui accompagne les enfants à l’école. Que peut-on imaginer pour que, par exemple, les Vélibs soient équipés pour transporter des petits ou qu’il y ait davantage d’espace dans les bus pour les poussettes? Ensuite, il y a le harcèlement de rue auquel 100 % des femmes sont confrontées dans les transports ou dans la rue. Enfin, il y a un sentiment d’insécurité sur lequel il faudrait travailler: faire du jogging seul, par exemple, est plus compliqué pour une femme que pour un homme. Dans une étude, on a constaté que les femmes allaient moins souvent dans les parcs que les hommes. Et puis il y a aussi toutes les publicités représentant des femmes-objets sur lesquelles on tombe à chaque coin de rue.
Comment peut-on faire concrètement pour que les femmes se réapproprient l’espace public?
Grâce aux marches exploratoires, on espère trouver des recommandations spécifiques pour que les femmes se sentent mieux dans la rue. Il faut s’inspirer de ce qui a été fait ailleurs. À Vienne par exemple, ils ont réussi à penser des espaces publics hybrides qui ne sont pas cloisonnés et qui peuvent tour à tour servir de terrain de foot ou d’endroit pour pique-niquer. Il faut également en finir avec les publicités sexistes, mettre en avant le street art féminin ou encore encourager les femmes à faire du sport dans la ville. La question de l’éclairage est également décisive pour lutter contre le sentiment d’insécurité. Comment faire pour que les villes soient bien éclairées la nuit sans pour autant qu’elles dépensent des millions d’euros? Il y a des alternatives à trouver. On manque de solutions, on va se servir de ce tour du monde pour récupérer les bonnes pratiques d’ailleurs et les tester ici.
Propos recueillis par Julia Tissier
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