Avant, Julia Mouzon était “macho”. Aujourd’hui, à 32 ans, elle dirige la start-up qu’elle a créée en 2012, Femmes et Pouvoir. Résolument féministe, passionnément entrepreneure et tout juste mère, elle s’attaque à la 4ème édition des Journées nationales des femmes élues, qui ont lieu aujourd’hui et demain. Elle nous raconte son “coming out féministe”. Portrait.
La première chose que l’on remarque chez Julia Mouzon, c’est son immense sourire. Elle l’a facile et avant même de s’en rendre compte, on est déjà en train de le lui rendre. On retrouve la fondatrice de Femmes et Pouvoir à Saint-Sébastien-Froissart, dans le 3ème arrondissement de Paris. Une petite brune de 32 ans aux faux airs d’Hilary Swank, en jean et veste de costume, chaussures en cuir et sac à dos vissé sur les épaules. Elle est au téléphone, et parle dans son kit mains libres, accessoire “essentiel” à sa survie, assure-t-elle. Elle est en train d’organiser les quatrièmes Journées nationales des femmes élues, dites JNFE, qui se tiennent aujourd’hui et demain à Paris.
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Une fois son coup de fil expédié, elle s’approche machinalement pour faire la bise. Devant l’étonnement que le geste provoque, elle se ravise sans rougir. “Ah oui, c’est vrai. On ne se connaît pas encore!” Julia Mouzon ne marche pas. Elle galope. Et nous derrière, jusqu’à un café-librairie du coin. L’enthousiasme ne manque pas, le débit non plus. Lorsqu’elle embraye sur “ces femmes qui s’engagent”, sur Christine Lagarde, Hillary Clinton, Emma Watson, Le Meufisme ou Jessica Livingston en concluant de sa voix forte et aigüe: “C’est génial!”, on a envie de monter sur la table et de refaire le monde avec elle. Julia Mouzon est contagieuse.
Dis-moi qui tu formes, je te dirai qui tu es
Ce mardi 27 octobre, elle sort tout juste d’un rendez-vous à l’Élysée pour une opération de parrainage avec les JNFE. Convaincre et négocier, c’est un peu son fonds de commerce. Femmes et Pouvoir organise “en moyenne une formation par mois” à destination des femmes politiques, et réunit près d’une quinzaine de participants à chaque fois -de droite comme de gauche, raison pour laquelle elle se garde bien de choisir un penchant quand on lui pose la question. Elle s’interrompt. “Si je marque un temps avant de vous répondre, ça veut dire quelque chose. Si je vous dis bonjour en vous effleurant l’épaule aussi -Elle s’avance au-dessus de la table pour poser ses ongles rouges sur l’épaule de son interlocutrice. Il y a une façon d’arriver en retard, une façon d’arriver en avance… J’ai appris ces codes sur le tas. Et le premier pouvoir, il est sur soi-même. Il faut se dire: ‘Je peux m’autoriser à identifier ces codes, et même à jouer avec’.”
© Capucine Moulas pour Cheek Magazine
Pourquoi avoir créé une entreprise à destination des femmes exclusivement? Elle récite: “À l’époque [Ndlr: en 2012], il y avait 18% de femmes à l’Assemblée nationale et 21% au Sénat. En tant que citoyenne, j’étais choquée que les décisions qui nous impactent toutes et tous ne soient prises que par des hommes.” Mais son “coming out féministe”, c’est davantage une histoire d’éclosion. La renaissance de la femme, d’abord. “Avant, j’étais macho. J’ai mis du temps à m’assumer en tant que femme. J’étais dans un environnement où il y avait beaucoup d’hommes. J’avais appris les noms des joueurs de rugby par cœur, j’ai joué à World of Warcraft…” Au lycée Racine à Paris, où Julia Mouzon jongle entre ses cours et ses quatre heures quotidiennes de piano et de violoncelle, les amies filles se font rares. Pendant ses trois ans de prépa, entre Sainte Geneviève à Versailles et le prestigieux lycée Louis Le Grand, les copines ne sont pas légion non plus.
“La vie politique est déjà difficile. Elle l’est encore plus quand on est une femme.”
Plus tard, Julia Mouzon entre au ministère des finances. “C’était une période de questionnement sur ma propre carrière. Je me demandais où était ma valeur ajoutée.” Son débit de parole se fige un instant. Elle raconte un week-end passé chez des amis avec son conjoint. “Sur le retour dans la voiture, je lui ai dit: ‘Mince! J’ai quand même fait Polytechnique. J’ai mis des mecs sur le tapis! Et parce que je suis une femme, je ne peux pas avoir le choix. Certaines femmes de ma promo sont maintenant instit’!’” C’est le déclic. Elle rejoint une association féministe et se “rend compte que [ses] questions étaient des questions qu’on se posaient toutes”. Ses grands yeux bleus s’emballent. Aider les femmes élues, c’est une évidence. “La vie politique est déjà difficile. Elle l’est encore plus quand on est une femme. Quand les amis de votre mari lui disent: ‘T’en as pas marre que ta femme ne soit pas là le soir?’”
Coup de bec dans la coquille
Julia Mouzon fronce les sourcils. “Je sentais que j’avais besoin de changer. Ce qui me faisait le plus peur, c’était de ne pas changer assez.” Elle décide donc de s’engager pour les femmes, et dans l’entrepreneuriat. Elle créé sa première SAS (Ndlr: société par action simplifiée) et résume ce revirement avec les mots de Véronique Morali, présidente de la Commission du dialogue économique du Medef, femme d’affaires aguerrie, et l’un de ses modèles: “En passant de l’administration à la start-up, tu passes du confort d’un verre de vin aux bulles de champagne.”
Peu après 2012, elle déménage à Bordeaux avec son compagnon, “pour la qualité de vie”. Elle le clame sans une once d’hésitation, pour elle désormais, “la condition féminine c’est d’avoir en permanence une personne sur le dos pour dire ce que vous devez faire. Quand vous êtes une femme, et encore plus quand vous avez des enfants. Par exemple, quand on est enceinte, on nous dit ce qu’il faut boire, ou ne pas boire, qu’il faut faire du sport, ou ne pas faire de sport… Il faut respecter que ces deux choix coexistent.” Mère d’un petit Mathias depuis deux ans, elle se souvient de sa grossesse rythmée par les diktats de son entourage. Le gynéco qui la trouve “douillette”, le copain qui insiste pour qu’elle vienne skier pendant sa grossesse, ce qu’elle refuse par prudence -parce que si elle skie, elle, “c’est pour foncer”. Depuis, elle ne le voit plus. “En fait, je crois que j’ai choisi mes amis”, lâche-t-elle finalement.
© Capucine Moulas pour Cheek Magazine
Comment élever son petit garçon quand on est convaincue que les inégalités de genres viennent de l’éducation? Le jeune Mathias, loin des archers du lycée Racine, prend (entre autres) des cours de yoga dans l’une des écoles Montessori de Bordeaux depuis septembre. Elle tranche. “On apprend aux garçons qu’il faut être sûr de soi. Déjà, je compte ne pas le saoûler avec ça. Je voudrais l’encourager à faire exister ses émotions. Je lui dis: ‘Je comprends que tu sois triste’, je veux l’autoriser à parler.” Et si Julia Mouzon avait une petite fille? “Si j’avais une fille, et qu’elle voulait s’habiller en princesse, je la laisserais faire bien sûr, mais je lui dirais aussi: ‘Tu es une princesse, donc tu manages une équipe, comment tu comptes faire? Comment vas-tu faire pour convaincre celui-là de faire ça?’ etc.”
“Le secret du bonheur, c’est la liberté. Le secret de la liberté, c’est le courage. Ou quelque chose comme ça.”
En avalant son expresso, elle cite Thucydide: “Le secret du bonheur, c’est la liberté. Le secret de la liberté, c’est le courage. Ou quelque chose comme ça.” Après deux heures de rendez-vous à parler “politique et feuilles de ronce” -qu’elle préfère aux médicaments, avec le thym, la sauge, les feuilles de mauve “et bien sûr l’huile essentielle de pépins de pamplemousse” qui lui évitent d’aller chez le médecin et de “se sentir démunie”-, elle doit filer à son prochain rendez-vous. Retour à sa vie à 100 à l’heure, entre les allers-retours Paris-Bordeaux, la préparation des JNFE, le surf -elle vient tout juste de s’y mettre-, les sessions internationales de leadership et de coaching d’équipe en ligne le mercredi entre 22 heures et minuit -“le seul moment où j’étais dispo”-, sans oublier son fils, ses lectures -la dernière en date: Choisissez Tout de Nathalie Loiseau-, et sa musique, étonnamment “chill” quand on la voit si speed. Julia Mouzon est partie comme elle est arrivée. À la vitesse d’une météorite. Sauf que cette fois, on lui a claqué la bise.
Capucine Moulas
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