Peau lisse, teint de porcelaine ou doré à la perfection, courbes parfaitement équilibrées, traits d’une régularité sculpturale, l’espace public est saturé d’images de corps sublimés, souvent féminins. Des affiches publicitaires aux plateaux de télévision, on cherche à faire du beau, ou du moins, à ne faire voir que le beau. Mais les corps irréels qui défilent sur papier glacé commencent à lasser…
En 2013, un restaurant parisien se fait épingler par le Canard Enchaîné pour sa fâcheuse habitude de mettre les “beaux” bien en évidence derrière d’immenses parois vitrées à la vue de tous, les “moches” étant habilement conduits vers des tables plus en retrait. Seuls les “moches” faisant valoir l’excuse de célébrité échapperaient à cette sélection drastique par le siège. Une “publicité vivante” à moindre frais pour le restaurant, la beauté physique assurant, en quelque sorte, la qualité de l’assiette.
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La même logique s’applique souvent aux plateaux de télévision, où les casteurs de public invoquent notamment des “impératifs physiques” pour justifier le choix des silhouettes qui apparaîtront dans “l’axe cam”, c’est-à-dire derrière le présentateur vedette ou l’invité prestigieux. Qui n’a jamais remarqué l’essaim de jolies filles assises au premier rang d’émissions à forte dose de testostérone, comme les débriefs d’après-match de football?
Abercrombie: dictature du beau…
Reste que cette stratégie marketing, bien que visible, est rarement complètement assumée. La marque américaine de vêtements Abercrombie & Fitch en a, elle, fait un argument publicitaire de vente décomplexé dès le début des années 2000: pas question d’habiller les moches, trop ou pas assez grands, petits, gros, mais uniquement les gens déterminés par la marque comme beaux, minces et “cool”: “Franchement, nous nous adressons aux enfants cool qui ont une attitude super et qui ont plein d’amis. Sommes-nous exclusifs? Complètement”, avance en 2006 Mike Jeffries, le PDG de la marque.
Pour décourager définitivement les “moches” qui n’auraient pas compris la politique de la maison, les tailles supérieures à 38 sont retirées des rayons.
Résultat, les vendeurs sont recrutés à l’examen de leurs abdos et accueillent le chaland et potentiel client (beau lui aussi), avec torse nu et sourire ultra-bright; une publicité vivante de la beauté ultra-sexualisée. Pour décourager définitivement les “moches” qui n’auraient pas compris la politique de la maison, les tailles supérieures à 38 sont retirées des rayons. Mais attention, du côté des femmes uniquement, les larges carrures masculines vantées par la marque nécessitent, elles, plus de tissus.
… Et décadence
Mais l’obsession du beau a fini par causer la perte de la marque certifiée “anti-moche”. En plus d’être illégale, cette discrimination au physique provoque l’ire des consommateurs à travers le monde. Les plaintes en justice pleuvent -en 2014, la France avait sommé la marque de renoncer à ses pratiques dans un délai de six mois-, les ventes chutent. Le PDG provocateur est congédié, les vendeurs-mannequins sont priés de se rhabiller mais rien n’y fait, Abercrombie & Fitch affiche en mai 2015 une perte nette de 63 millions de dollars. “Le vent tourne. La chute d’Abercrombie prouve le ras-le-bol des consommateurs qui ne veulent plus de ces images stéréotypées et discriminantes sur la beauté et sur la mode. Les marques ont du souci à se faire. Elles vont devoir changer leur publicité”, analyse Frédéric Godart, sociologue de la mode.
Trop de retouches tuent la retouche
Les corps sublimés par ordinateur n’ont jamais été autant décriés, tandis que Photoshop, le logiciel de retouche de l’image, fête cette année ses 25 ans. Les marques françaises de la beauté, L’Oréal en tête, en font les frais outre-Manche…
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