Mode, objets, culture, lifestyle… La génération Y se tourne de plus en plus vers le rétro au point qu’il soit aujourd’hui un phénomène sociétal à part entière. À l’occasion de la diffusion du documentaire La Révolution rétro sur Arte, on s’est demandé ce qui pousse les enfants des années 80 à aller chercher leur bonheur dans le passé.
Hipsters barbus, femmes aux allures de pin-up des années 50, soirées swing des années 20, tables en formica et légumes datant de l’entre-deux guerres dans les assiettes des restaurants étoilés, le rétro s’est immiscé dans notre quotidien. Le documentaire La Révolution rétro, diffusé le samedi 5 septembre à 22h40 sur Arte, met en lumière l’importance du phénomène à travers le monde. Entre ceux qui en ont fait un mode de vie et ceux qui le consomment par touches, le rétro est présent partout dans la société occidentale. Le film, où l’on croise aussi bien Dita Von Teese que de jeunes urbains ayant décidé d’adopter le style de vie de la première moitié du XXème siècle, cherche à comprendre les raisons de cet engouement.
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“La génération Y, pourtant connue pour son lien fusionnel aux nouvelles technologies, est devenue accro au rétro.”
Loin d’avoir toujours existé, le phénomène explose en 2007, avec la diffusion de Mad Men. Dans le sillage de la série, la fièvre rétro s’empare du reste de la pop culture: la même année, Amy Winehouse raffle trois Grammy Awards, puis en 2008, une équipe de salariés de l’usine d’Enschede aux Pays-Bas sauve la production de Polaroids en donnant naissance à The Impossible Project. En 2011 The Artist de Michel Hazanavicius sort en salles et sera adoubé à Hollywood, d’où il repartira auréolé de plusieurs Oscars. En première ligne, la génération Y, pourtant connue pour son lien fusionnel aux nouvelles technologies, devient alors accro au rétro. On vous explique pourquoi.
Lana Del Rey, DR
Le rétro rassure
À force de s’entendre dire que demain est incertain, la génération Y aurait-elle pris l’habitude de regarder vers hier? Pour Sophie Peyrard, auteure et coréalisatrice du documentaire La Révolution rétro, la peur de l’avenir serait l’une des raisons de l’engouement de notre génération pour la chose rétro: “Ça aide de se raccrocher au passé, d’avoir des repères et d’aller piocher dans les racines qui nous ancrent au présent”, explique-t-elle. Du succès planétaire de la série Mad Men au récent revival des années 90, du look pin-up vintage de Lana del Rey au rayon gadgets d’Urban Outfitters, le rétro serait pour notre génération une sorte de doudou, un rocher auquel se raccrocher au milieu d’une époque et d’une société dans la tempête.
“L’amnésie générale semble se nourrir de l’éternel discours du ‘c’était mieux avant’.”
Pourtant, ce passé que nous scrutons avec tant d’insistance a tout du miroir aux alouettes. Car il s’agit d’un passé révisé, fantasmé, lavé de ses parts d’ombre. Prenez par exemple les vêtements à l’effigie de Jacques Chirac. Par quel improbable tour de passe-passe l’homme des “motocrottes” et du “bruit et l’odeur”, est-il devenu assez cool pour être arboré fièrement sur votre poitrine bombée? L’amnésie générale semble se nourrir de l’éternel discours du “c’était mieux avant”, indissociable des périodes de crise. “Le rétro est une madeleine de Proust sucrée d’un paradis perdu, même s’il n’était pas paradisiaque. Il y a un côté fantasmatique, on acidule ce passé, on le ‘hariboïse’ afin de le rendre parfait et hypnotique”, confirme Eric Briones alias Darkplanneur, spécialiste de la génération Y.
FAUX par l’Atelier Amelot – Sweat Faux Chirac qu’il nous faut
De l’art d’accomoder le rétro
Aujourd’hui, les Y mélangent avec virtuosité nouveautés et éléments du passé: on lit une recette de soupe “aux légumes d’antan” sur son smartphone, on uploade des photos sur des sites Internet pour les transformer en Polaroïds, on navigue sur des sites au look vintage… À notre société ultra-connectée répond une envie de renouer avec l’essentiel, de suspendre le temps. Pourtant, si la cohabitation du nouveau et de l’ancien paraît à son apogée en 2015, les origines du phénomène ne datent pas d’hier. Pour Émilie Coutant, sociologue, ce mélange des genres remonte aux années 50 et au passage de la société moderne (en place depuis le XVIIIème siècle) à une société postmoderne: “La société moderne était dans l’idée de la rationalité, du progrès et surtout d’une temporalité dirigée vers l’avenir, alors que la postmodernité a vu se combiner le développement technologique de masse avec le retour d’éléments archaïques et traditionnels”, affirme-t-elle.
En mixant les éléments d’aujourd’hui à ceux d’hier, les Y cherchent aussi à se créer un style qui sortira du lot.
Au rayon mode, en mixant les éléments d’aujourd’hui à ceux d’hier, les Y cherchent aussi à se créer un style qui sortira du lot, comme pour Roxanne, étudiante de 20 ans qui préfère acheter ses vêtements dans des friperies ou fouiller dans les vieilles fringues de sa mère, “qui ont plus de charme et sur lesquelles on peut plus s’éclater à créer son propre style que sur des modèles que tout le monde aura chez Zara”. Une approche ultra-contemporaine qu’Émilie Coutant définit sous le nom de “fashioning self style”: selon elle, “la mode actuelle est un art de l’accommodation qui consiste à se saisir d’éléments du passé et à les bricoler pour les adapter au monde d’aujourd’hui et ainsi créer son propre style”. Hipsters et autres accros du shopping en friperies chercheraient donc à tout prix l’originalité grâce à des vêtements du passé, qui promettent d’infinies combinaisons stylistiques.
La friperie Single by Stella à New York © Julia Tissier
Le rétro, base d’une nouvelle forme de création
“Faire du neuf avec du vieux” serait donc le mantra de la génération Y. On recycle le passé en y ajoutant de nouvelles significations, afin de créer de l’inédit. Dernière illustration en date de cette tendance lourde du recyclage, la série Netflix Wet Hot American Summer pousse cette logique à son paroxysme. Ses créateurs ont repris un film, 15 ans après sa sortie aux US (et resté inédit en France), portant sur un camp de vacances de jeunes Américains, et ont fait reprendre aux acteurs d’origine leur rôle de l’époque. Résultat: des acteurs âgés de 30-40 ans incarnent des ados aux côtés de vrais teenagers, avec décors et fringues 80’s. Le rétro est ici une source de créativité qui donne lieu à un concept avant-gardiste.
La création basée sur le détournement, c’est un principe que connaît bien Eric Briones, qui le qualifie de “hacking”. Inventer étant avec le temps de plus en plus difficile, il s’agit de réadapter des choses du passé en les améliorant ou en les relisant à la lumière de notre époque. “Le rétro aujourd’hui a un côté Tumblr, ce n’est pas une citation, mais une relecture plus ou moins puissante”, développe-t-il. Et si cette addiction au rétro aidait finalement la génération Y à se projeter dans le futur? Au premier degré, mélangé ou réinterprété, le rétro est en tout cas une source d’inspiration inépuisable qui permet à une génération tiraillée entre peur de l’avenir et envie d’avancer, de se réinventer.
Anne-Charlotte Dancourt
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