Dans The Guard, Kristen Stewart campe une jeune militaire affectée à Guantánamo, dans un film qui sort aujourd’hui directement en DVD, et qui est passé, à tort, inaperçu. Trois bonnes raisons de le voir quand même sur petit écran.
Il a été projeté aux prestigieux festivals de Deauville et de Sundance, et pourtant The Guard ne passera même pas par la case cinéma en France. Étonnant pour un long-métrage dont les deux têtes d’affiche ne sont autres que Kristen Stewart et Peyman Maadi, l’acteur iranien encensé dans Une Séparation. Mais peut-être que tout est de la faute du sujet du film -le quotidien des détenus de Guantánamo et les relations qui s’établissent avec leurs gardes-, qui n’a pas rempli les salles aux US. “Ce genre de thème n’attire pas les Américains, d’ailleurs la plupart des films traitant de l’Irak ont été des échecs, décrypte Nicole Bacharan, historienne spécialiste des États-Unis. C’est sinistre, et cela ne montre pas une bonne image du pays, Guantánamo étant clairement une tache sur la République américaine.”
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Kristen Stewart prouve qu’elle peut nous emmener n’importe où, et surtout très loin de Twilight.
Pas très vendeur en effet, quand on sait que ce dossier hérité de l’ère Bush empoisonne les mandats de Barack Obama depuis son élection en 2008. Mais une fois de plus, Kristen Stewart prouve qu’elle peut nous emmener n’importe où, et surtout très loin de Twilight, en campant Amy Cole, une jeune recrue idéaliste qui va vite déchanter dans les couloirs de Guantánamo. Trois raisons de la suivre.
Un coup de projecteur sur les femmes à l’armée
En choisissant comme protagoniste une jeune femme fraîchement débarquée à l’armée, le scénariste et réalisateur Peter Sattler offre un film militaire forcément différent des classiques du genre. Parce qu’une femme soldat dans une prison pour hommes ne peut pas accomplir certaines tâches comme la douche, parce que la plupart des détenus islamistes ne veulent pas avoir affaire à elle, mais surtout parce qu’elle doit gérer les avances insistantes de son supérieur, Amy Cole aka Kristen Stewart a bien du mal à s’imposer à Guantánamo. Pourtant, c’est cette particularité qui lui permet de nouer une relation avec le détenu Ali, interprété par Peyman Maadi, qui perçoit chez la jeune recrue une sensibilité différente, liée à son statut ultra-minoritaire.
“Ce qui m’a attirée fut d’incarner cette fille très simple, qui découvre qu’une chose qu’elle croyait bien était mal et de voir comment ça l’affecte.”
Très convaincante en redneck plus portée sur le sport que sur les livres, et “surtout pas à la recherche d’un mari”, Kristen Stewart incarne avec beaucoup de justesse cette militaire patriote qui cherche en permanence à faire oublier qu’elle est une femme, sans y parvenir. La comédienne, elle, arrive en revanche à nous faire oublier la superstar bankable qu’elle est devenue: le teint blafard, les cheveux tirés sous son képi, le corps planqué sous son uniforme terne, Kristen Stewart n’est pas glam pour un sou, et ça lui va très bien. “Ce qui m’a attirée fut d’incarner cette fille très simple, qui découvre qu’une chose qu’elle croyait bien était mal et de voir comment ça l’affecte, raconte la comédienne dans le making-of. J’aime les films qui parlent d’éveil, de prise de conscience.”
Un aperçu du quotidien à Guantánamo
Sujet éminemment politique, le statut des détenus de Guantánamo est ici abordé de manière indirecte. On ne sait pas précisément de quoi est accusé Ali, qui clame son innocence depuis huit ans, mais on voit les petits sévices du quotidien qui lui sont infligés, et que ne cautionne pas Amy Cole. Si la torture est seulement suggérée, le film, très documenté, montre que la lumière reste allumée dans les cellules 24/24h, ou que le dernier tome de Harry Potter n’arrive jamais sur les rayons de la bibliothèque, laissant volontairement les lecteurs sur leur faim. “Quand j’ai vu des photos de la bibliothèque de Guantánamo, j’ai remarqué les livres de Harry Potter, explique le réalisateur Peter Sattler dans le making-of. Cela a galvanisé l’impression que j’avais de cette prison, cet étrange contraste entre ce personnel très normal et la problématique politique très compliquée de cette situation.”
“Guantánamo est un monstre juridique, créé volontairement par l’administration Bush après le 11 septembre.”
La complexité du lieu semble en effet échapper totalement aux personnages, reclus sur cette portion du territoire cubain, où aucune loi ne s’applique. “Guantánamo est un monstre juridique, créé volontairement par l’administration Bush après le 11 septembre, rappelle Nicole Bacharan. Les détenus y sont qualifiés de combattants ennemis, ce qui n’a existé ni avant ni après ces attentats, et qui a permis aux autorités d’échapper aux conventions de Genève et aux lois américaines sur les droits des prisonniers. À l’époque, Bush était convaincu qu’il menait une mission du bien contre le mal et que tous les moyens étaient permis.” Quatorze ans plus tard, l’administration Obama est toujours empêtrée dans cette zone de non-droit, “dont chaque détenu coûte 2,7 millions de dollars par an au contribuable”, selon l’historienne.
Un message inattendu à Hollywood
Malgré l’aspect bisounours du pitch et le lien improbable qui s’établit entre une Américaine “de base” et un détenu soupçonné de terrorisme, le propos du film sort des clichés sur le bien contre le mal ou les Américains contre le reste du monde. Des deux côtés de la cellule, les personnages sont confrontés à la vacuité, l’ennui et l’absurdité de Guantánamo, et il est parfois difficile de savoir pour qui c’est le plus pénible.
The Guard réussit à donner un visage humain à ce qui est devenu un des gros titres récurrents de l’actualité depuis le 11 septembre 2001.
En ne tombant pas dans un discours caricatural, The Guard réussit à donner un visage humain à ce qui est devenu un des gros titres récurrents de l’actualité depuis le 11 septembre 2001. “Je suis heureux de faire partie d’un film qui dit des choses très importantes et qui fait réfléchir sur le monde d’aujourd’hui”, confie Peyman Maadi dans le making-of. Comme le rappelait Nicole Bacharan à propos de Selma, “les Américains ont cette capacité à faire des films sur la politique actuelle et cette lucidité sur leur histoire que n’ont pas tous les pays.”
Myriam Levain
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