Plus connue pour ses calanques que pour ses créateurs, la cité phocéenne se métamorphose petit à petit, y compris côté mode.
Vulgaire, ostentatoire, kéké… Lorsqu’on évoque le look des Marseillais, ce sont rarement des qualificatifs laudateurs qui surgissent dans les commentaires. Pourtant, à y regarder de plus près, les labels mode lancés dans la cité phocéenne se multiplient doucement mais sûrement, souvent loin de la caricature de la cagole. Dans le sillage des pionniers Sessùn, Gas et Kulte, ont émergé ces dernières années des marques grand public telles qu’American Vintage, Le Temps des Cerises ou Kaporal, qui montrent qu’il existe en France une alternative à la couture parisienne. De là à parler d’une mode marseillaise, il n’y a qu’un pas, qu’il est peut-être prématuré de franchir. “Je ne pense pas qu’il existe un style marseillais, avance Emma François, la créatrice de Sessùn. Contrairement à Anvers par exemple, il n’y a pas d’école suffisamment forte pour générer un style et un apprentissage commun aux créateurs. Par contre, il y a une vraie économie de la mode à Marseille, et ce n’est pas nouveau puisque c’était déjà la capitale du denim il y a 40 ans.”
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À Marseille, le vêtement a conservé un aspect fonctionnel et détente, probablement parce qu’ici, la plage n’est jamais très loin.
La proximité avec le Maghreb et l’histoire post-coloniale de la ville expliquent que la culture du textile n’ait jamais disparu, même si, à Marseille, le vêtement a conservé un aspect fonctionnel et détente, probablement parce qu’ici, la plage n’est jamais très loin. Ce côté “province”, voire balnéaire, le photographe Olivier Amsellem le connaît parfaitement, lui qui est né à Marseille, y a grandi et a l’impression “de ne l’avoir jamais vraiment quittée”, même pendant les dix ans qu’il a passés à Paris. Quand il revient poser ses valises près de la Méditerranée en 2013, il entend parler d’une ancienne boucherie dont le local est à vendre rue Paradis, et saute sur l’occasion pour lancer son concept avec Charlotte Brunet et Bepi Valerio-Moretti. Début 2015, leur boutique Jogging a ouvert, proposant pour la première fois à Marseille des pièces de créateurs tels que Lemaire ou une ligne de produits Aesop. “Il n’y avait pas Aesop à Marseille, c’est fou, non? sourit-il. Il manque encore beaucoup de marques à la ville, qu’on a envie de proposer à la clientèle de Jogging, qui a l’habitude de voyager et de rapporter plein de choses. Désormais, ils pourront les trouver chez nous.”
La boutique Jogging vient d’ouvrir rue Paradis © Olivier Amsellem
À quelques kilomètres de là, Gregory Siary a lui aussi ouvert un concept store, le Magasin Général Plus, dans le centre d’Aix-en-Provence, mais souligne que pour l’instant, “beaucoup de projets cools à Marseille ne sont pas made in Marseille”. Qu’il s’agisse de vêtements ou de lieux de sortie, les initiatives récentes ont beaucoup été portées, selon lui, par l’arrivée de néo-Marseillais, séduits par la ville et son image en pleine évolution. Mais peu importe, puisqu’elle se remet à bouger et commence même à devancer son éternelle rivale et voisine aixoise. “Maintenant, c’est là-bas que ça se passe le soir”, glisse-t-il. Une nouvelle énergie qui doit beaucoup à l’effet “capitale de la culture” dont elle a bénéficié depuis 2013.
Inauguration du Mucem, amélioration du réseau de transports, ouvertures de nouveaux lieux, Marseille 2013 a constitué un tournant. “À cette occasion, on a décidé de mettre vraiment en avant l’identité marseillaise de notre marque, se souvient Matthieu Gamet, directeur général de Kulte. On a lancé 13 collabs pendant 13 mois pour 2013 et organisé de nombreux évènements.” Depuis, ce quadra du cru a pris pour trois ans la présidence de la Maison méditerranéenne des métiers de la mode, qui entend faire de la deuxième ville de France un lieu de création doté d’un ADN, celui de la Méditerranée. Parmi les mécènes de l’établissement, on trouve des noms tels que Dior ou Chanel.
“Nous voulons repérer les talents à travers tout le bassin pour les former ici, à Marseille, et donner naissance à terme à une véritable école méditerranéenne, comme il existe une école belge.”
Maryline Bellieud-Vigouroux, fondatrice de l’institution en 1987, souhaite surfer sur l’effet 2013 pour donner un coup d’accélérateur à ce projet de longue date: “Pour l’instant, la Méditerranée est plutôt une terre d’inspiration que de véritable création, analyse-t-elle. Nous voulons repérer les talents à travers tout le bassin pour les former ici, à Marseille, et donner naissance à terme à une véritable école méditerranéenne, comme il existe une école belge.” D’où la création en 2010 du Mediterranean Fashion Prize qui soutient financièrement -à hauteur de 40 000 euros chacun- dix jeunes créateurs issus du Liban, du Portugal ou de Tunisie. L’année prochaine, la Maison organisera une biennale de la mode, destinée à asseoir un peu plus cette identité méditerranéenne.
Édition 2015 du Mediterranean Fashion Prize à la Villa Méditerranée
Quand elle a débarqué à Marseille il y a deux ans pour ouvrir son resto Bongo, la très parisienne Tania Bruna-Rosso s’attendait, elle, à vivre dans une sorte de Californie à la française. “On a beaucoup fait cette comparaison, et d’ailleurs quand je suis arrivée, j’ai été frappée de croiser en bord de mer des femmes qui se baladaient en haut de maillot de bain, raconte l’ex-chroniqueuse du Grand Journal. Aujourd’hui, je me rends compte que ce côté street est probablement ce qui caractérise le plus la mode marseillaise. Moi, en bonne Parisienne, je vais plutôt vers des looks hyper structurés et urbains alors qu’ici, par exemple, c’est compliqué de porter des talons, parce que la ville est très vallonnée et qu’il y a beaucoup de trottoirs défoncés.”
Pour la créatrice de bijoux Virginie Monroe, qui s’est installée dans la cité phocéenne en 2002 et ne compte plus la quitter, c’est ce côté “sauvage et folk” qui fait la particularité de Marseille. “Ok, ça s’est un peu cleané, mais c’est toujours populaire et cosmopolite, j’aime le mélange des matières et des couleurs qu’on trouve ici, et j’aime cette féminité folk propre à la ville, explique-t-elle. Je crée mieux ici qu’à Paris, où j’ai pourtant longtemps travaillé. Mais là-bas, je créais parisien, ici je fais ce que je veux.” Et accessoirement, elle fait tout fabriquer dans le coin.
Moins chic que Paris ou Milan, plus crade que Los Angeles, Marseille ne rentre dans aucun moule et permet à ceux qui le souhaitent d’y puiser l’inspiration sans se mettre de barrière.
La liberté est peut-être le mot qui revient le plus souvent quand on évoque le potentiel mode de la ville. Moins chic que Paris ou Milan, plus crade que Los Angeles, Marseille ne rentre dans aucun moule et permet à ceux qui le souhaitent d’y puiser l’inspiration sans se mettre de barrière, même si d’autres lui reprochent l’indolence d’une ville de bord de mer, loin, très loin de l’énergie de la capitale. “Ici, j’ai des amis plus variés qu’à Paris, et si on est mal habillés, on s’en fout, s’amuse My-Linh Mary qui a également déménagé pour lancer sa marque Bird Song. Je me sens beaucoup plus libre.”
La liberté, le soleil, les grands espaces, sont aussi les concepts qui reviennent dans la bouche de Victoria Sanguinetti, qui, à 23 ans, connaît un succès rapide avec ses chapeaux et ses kimonos Van Palma qui cartonnent sur Instagram. “C’est dans l’ouest américain que j’ai conçu mon projet, et je retrouve chez moi, à Marseille, le même genre de sensations. Pour l’instant, je ne me vois pas du tout quitter cette ambiance si particulière.” Si l’indémodable Los Angeles fait toujours office de référence, certaines personnes lui préfèrent une autre filiation américaine: Miami, bling et métissée comme elle. Il suffit de faire quelques pas sur le Vieux-Port pour s’en convaincre. Loin d’être sans personnalité, Marseille a déjà des codes vestimentaires bien à elle, plutôt clinquants, quelque part entre la fausse banane Vuitton et les compensées K-Jacques.
Myriam Levain
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