Je fais partie de cette génération que l’on dit sacrifiée, de ceux pour qui le diplôme de fin d’études est surtout un ticket pour pointer au Pôle Emploi, de ceux qui collectionnent les masters et spécialisations en tout genre parce que brillants et assoiffés de connaissances, mais qui n’avanceront pas plus vite dans la file d’attente et finiront collaborateurs chez McDonald’s.
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Je suis de ceux que les entreprises exploitent, stage après stage, et qui reçoivent quelques centaines de malheureux petits euros -s’ils ont de la chance- pour un niveau d’effort et de compétence qui vaut trois, quatre, cinq, dix fois cette somme. On me dira au revoir après six mois de bons et loyaux services avec un “On ne veut plus de toi parce que t’offrir un emploi stable nous coûterait trop cher, tu es de la main d’œuvre qualifiée bon marché et tu vas te satisfaire de ‘l’expérience professionnelle’ qui fait joli sur ton CV, même s’il est vrai que tu as eu beaucoup de tâches ingrates et que tu as souvent fini à pas d’heure, mais tais-toi, tu ne te rebelles pas, dis merci, et fais semblant de croire à la récompense du Saint Graal du CDI que tu n’obtiendras jamais.”
La semaine à 35 heures? Laissez-moi rire: ma semaine à moi en fait plus de 60.
Je fais partie de cette génération qui se sent délaissée par la société et les politiques, de cette jeunesse perdue qui a l’impression que l’on n’a pas besoin d’elle, qu’on va la laisser crever la bouche ouverte, qu’on ne va rien faire pour qu’elle parvienne à toucher du doigt la sérénité et le bonheur. Je suis de cette génération qui n’a plus d’illusions, mais qui veut encore croire en ses rêves sans que la réalité ne les broie.
La semaine à 35 heures? Laissez-moi rire: ma semaine à moi en fait plus de 60, entre les cours qui ne me nourrissent qu’intellectuellement, le stage qui ne me permet pas de manger et mon job alimentaire qui m’abrutit mais me permet tout juste de payer mon loyer. Mon quotidien se résume à un triptyque très simple: travail/travail/travail, et le résultat obtenu n’est guère plus compliqué: galère/galère/galère. Je vis pour travailler plus que je ne travaille pour vivre. Mon temps ne m’appartient pas car il ne me sert pas à me réaliser: il me sert à être payée une misère et à essayer d’en survivre.
Je vais transformer la boue en or, alors, je vais faire de mon énième stage infructueux, un tremplin vers le poste de mes rêves où c’est moi qui vais dicter les règles.
Mais je ne me plains pas. Loin de moi cette idée. Je ne fais que décrire ma réalité. Je suis consciente qu’il y a pire que moi. J’aurais pu ne pas avoir de toit, mourir de faim et être contrainte de mendier dans le métro pour me maintenir en vie. Je n’en suis pas encore là. Pas encore. C’est un sombre tableau, mais, malgré tout, je garde espoir et je n’ai pas oublié cette phrase de Sartre qui dit que nous ne sommes pas faits de ce que l’on nous donne mais de ce que nous faisons de ce que l’on nous donne. Alors, je vais transformer la boue en or, alors, je vais faire de mon énième stage infructueux un tremplin vers le poste de mes rêves où c’est moi qui vais dicter les règles.
Je peux transformer ma misère en mots, la rendre acceptable, moins laide, m’allouer du temps pour moi -parce que c’est mon droit et que c’est la condition de mon humanité- pour penser à un projet qui aura le pouvoir de transfigurer le monde. Je suis de cette génération que la société n’a pas choyée mais qui ne va rien lâcher. Et si ma génération est vouée au chômage, alors elle va chômer, mais avec le sourire et la détermination de montrer sa valeur et de se battre pour sa reconnaissance.
Même si elle doit en perdre la voix, ma génération criera ce qu’elle a à dire, de toutes ses tripes, jusqu’à ce qu’on l’écoute.
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