En avril dernier, l’Assemblée nationale a adopté des mesures condamnant l’incitation à l’anorexie. Barbara Leblanc, journaliste de 30 ans, a souffert pendant dix ans de cette maladie. Pour elle, l’accent doit être mis en priorité sur la prise en charge des malades car les structures font défaut, notamment pour les personnes majeures. Témoignage.
Tout a commencé l’année de mon bac, j’avais 17 ans. J’ai eu une mononucléose et j’ai perdu du poids. À l’époque, je n’aimais pas ce à quoi je ressemblais. Mes copines étaient toutes très fines alors que j’avais été rapidement formée. J’ai donc continué à perdre du poids. En quelques mois, j’avais déjà changé de taille de pantalon. Je ne me faisais pas vomir mais je souffrais de potomanie. Je buvais des litres et des litres d’eau par jour. J’avais un objectif en tête, celui d’avoir mon bac. Je ne faisais plus que travailler et me priver de manger. En sombrant dans l’anorexie, je me suis créé un monde dans lequel j’étais toute puissante mais coupée des autres.
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Chez moi, je régnais en maître dans la cuisine. Je décidais ce qu’il y avait dans les assiettes.
En juillet, juste après les épreuves du baccalauréat, je suis partie aux États-Unis, chez mon oncle. Ça m’a sortie de mes habitudes. Chez moi, je régnais en maître dans la cuisine. Je décidais ce qu’il y avait dans les assiettes. Mes parents ont vite compris que j’étais anorexique mais, moi, j’étais dans le rejet. À mon retour, je présentais des signes de dénutrition mais comme j’étais malade, je ne ressentais plus rien. Nous avons été en Grèce malgré les réticences de mon père. Je refusais toujours de manger. “Si tu continues comme ça, on ne te laissera jamais étudier à Paris”, a asséné ma mère. Sa réflexion a été un déclencheur. J’ai mangé de nouveau, d’une façon totalement anarchique et j’ai repris un peu de poids. J’ai pu aller à Paris où j’étais suivie par une psychothérapeute. J’allais à la fac, j’avais des amis, un petit copain. Pendant deux ans, je me suis sentie mieux.
L’angoisse du vide, une peur à combler
La dernière année de ma licence de droit, j’ai de nouveau été préoccupée par mon corps. Je me suis séparée de mon copain de l’époque, et j’ai quitté Paris pour aller vivre à Aix-en-Provence. Je n’avais que douze heures de cours par semaine. Ce vide dans mon emploi du temps m’angoissait terriblement. Je l’ai comblé en faisant du sport à l’excès. J’étais devenue hyperactive.
À mon arrivée, ils m’ont expliqué qu’à deux heures près, c’en était fini de moi.
Le week-end précédant mes examens, je suis allée à Annecy pour l’anniversaire de ma mère. Je tenais difficilement, aussi bien physiquement qu’intellectuellement. J’avais le sentiment de ne plus maîtriser mes pensées ni mon corps. Arrivée chez mes parents, j’ai même refusé de boire. J’avais l’impression qu’une barre était coincée dans ma gorge. J’avais toutes les difficultés du monde à rester chez eux alors ils m’ont ramenée à Aix. Mais, même chez moi, je ne contrôlais plus rien. Je faisais des allers-retours dans l’appartement en hurlant. À bout, je me suis effondrée sur le sol. Là, j’ai compris que je devais me faire hospitaliser.
Des conditions d’hospitalisations scandaleuses
Nous sommes allés à Gap, chez un couple d’amis de mes parents. Lui, travaillait dans l’hôpital de la ville. Il voulait m’y conduire le lendemain. Je lui ai dit: “Non! On y va maintenant.” À mon arrivée, ils m’ont expliqué qu’à deux heures près, c’en était fini de moi. Je suis restée au service de réanimation pendant deux mois. Ils ne savaient pas quoi faire de moi. Les conditions de mon hospitalisation étaient scandaleuses. Mes parents ne pouvaient me voir qu’un quart d’heure toutes les deux semaines. Pendant mon séjour, je n’ai vu que deux fois le psy. Je devais me laver au lavabo car il n’y avait pas de douche.
Mes parents se sont démenés pour me trouver un centre adapté à la sortie de l’hôpital. À Annecy, ils ont trouvé une psychomotricienne spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire (TCA). J’ai repris une vie à peu près normale et suis repartie à Paris. J’ai arrêté de voir ma psy. Cinq mois plus tard, j’étais redevenue hyperactive. J’ai de nouveau été hospitalisée. Une manière de casser ce rythme infernal que je m’imposais. Je me suis posée et j’ai réalisé que ce que je désirais faire en réalité, c’était du journalisme et non pas du droit.
Un mal qui me rongeait de l’intérieur
À l’époque, j’avais de très gros problèmes de dos. Je suis allée voir un ostéopathe avec lequel le courant est très bien passé. Avec lui, j’ai trouvé un équilibre. Un jour, pendant un cours, on nous a donné un texte à lire. Il parlait d’une fille qui avait été violée. J’ai fait une violente crise de panique et suis sortie de la salle. Une copine m’a rejoint dans les toilettes. Je lui ai dit: “J’ai été violée.” C’était la première fois que je le disais et surtout, à ce moment-là, je ne savais pas pourquoi je le disais. Mon premier réflexe a été d’appeler mon ostéopathe.“Il faut que je vienne vous voir” lui ai-je dit en pleurant. Dans son bureau, je lui ai tout raconté: “J’ai été violée mais je ne me souviens de rien.” Il m’a répondu: “On va essayer de comprendre ce qu’il s’est passé.”
J’ai écrit un livre, un peu comme une thérapie et pour qu’on cesse de stigmatiser l’anorexie.
Il fallait que je reconstitue ce viol. J’avais enfoui ce souvenir en moi et il me rongeait de l’intérieur. Ça a été très violent de faire remonter cela à la surface. Il me fallait accepter de vivre avec ce poids-là, constant. Il fallait que je me reconstruise une vie nouvelle. C’est un combat de tous les jours de guérir mais j’ai la chance d’être bien entourée. J’ai écrit un livre, un peu comme une thérapie et pour qu’on cesse de stigmatiser l’anorexie. Ce n’est pas un caprice de jeune fille mais bien un véritable fléau. Il faut que l’accent soit mis sur la prise en charge des malades.
Propos recueillis par Julie Jeunejean
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